Il y a quelques jours, j’ai pu m’entretenir avec Junge Welt, journal de la gauche allemande, au sujet des mobilisations contre la réforme des retraites en France !
La réforme des retraites de Macron
« C’est plus qu’une grave crise sociale »
En France, les manifestations nationales contre le relèvement de l’âge de la retraite se poursuivent. Les communistes veulent un référendum. Un entretien avec Pierre Laurent, par Martin Dolzer.
En ce moment, les Français manifestent quotidiennement contre la réforme des retraites du gouvernement Macron. Quelle est l’ampleur des protestations ?
C’est du jamais vu. La défense du droit à la retraite, un des piliers du système social en France, a toujours provoqué d’énormes manifestations à chaque fois qu’il a été attaqué. Mais cette fois, c’est exceptionnel. L’intégralité des syndicats est à la tête du mouvement. Dans les enquêtes d’opinion, deux tiers des Français et 90% des salariés demandent le retrait du texte gouvernemental, qui a été imposé au Parlement par une procédure appelée l’article 49-3, dont nous demandons depuis longtemps l’abrogation. La colère est très forte. Des millions de Français continuent à manifester. Les grèves s’étendent. Nous ne sommes pas seulement face à une grave crise sociale. C’est désormais une crise politique et démocratique.
Les gens ressentent le relèvement de l’âge de la retraite comme une attaque contre leur sécurité sociale. L’opposition à la politique antisociale de Macron en général est-elle également à l’origine des protestations massives ?
La protestation pour refuser le recul de deux ans de l’âge de départ à la retraite cristallise un mécontentement social plus profond. De nombreuses grèves sur les salaires et pour la défense du pouvoir d’achat ont lieu depuis septembre. Les pénuries d’effectifs s’aggravent dans tous les services publics, à commencer par l’hôpital et l’école. Il y a beaucoup de souffrance au travail. Depuis la pandémie, les gens s’interrogent sur le sens et les conditions de leur travail. Travailler plus longtemps alors qu’il y a tant de précarité et de chômage, et surtout tant de superprofits accumulés par les grands groupes, plus personne ne l’accepte.
Comment le gouvernement réagit-il aux protestations ?
Par le passage en force. Le gouvernement a usé de toutes les procédures réglementaires à sa disposition pour imposer son texte au Parlement. Car en France, la Constitution permet l’adoption d’un texte sans vote du Parlement grâce à un article 49-3. Dans une telle situation de rejet du texte par le pays, c’est vécu comme une provocation inacceptable. Cela a décuplé la colère populaire. Le gouvernement tente aussi maintenant de réprimer les manifestants. Mais pour le moment rien n’entame l’opposition qui reste ultra-majoritaire.
Une motion de censure contre le Premier ministre a échoué de peu. Qu’est-ce que cela signifie pour la stabilité du gouvernement ?
Oui, elle a échoué à neuf voix près. Une partie de la droite a sauvé in extremis la tête du gouvernement. Mais la crise politique est désormais patente. Emmanuel Macron n’a été réélu que parce qu’il était face à Marine Le Pen dont la majorité des Français ne veut pas. Mais il n’a pas obtenu de majorité à l’Assemblée nationale lors des élections législatives. Il pensait pouvoir s’appuyer sur la droite pour trouver des majorités. Mais même cela ne tient plus qu’à un fil tellement le rejet populaire est fort. La situation est maintenant durablement instable. Marine Le Pen cherche à être en embuscade. La gauche a une grande responsabilité pour proposer une alternative de gouvernement et conquérir une majorité législative si jamais il y a une dissolution du Parlement. Les communistes y travaillent activement. Sans attendre, nous voulons engager une campagne pour soumettre la réforme des retraites à un référendum d’initiative citoyenne.
En Allemagne, l’ampleur des protestations est à peine évoquée. La gauche sociale ne se met pas non plus en mouvement. Quelles différences voyez-vous entre la situation en France et en Allemagne ?
L’histoire des luttes en Europe nous enseigne que la convergence ou la simultanéité des mobilisations n’est jamais aussi simple. Comme je viens de le dire, il y a aussi une crise de légitimité du pouvoir d’Emmanuel Macron qui joue son rôle dans la situation française. Je crois toutefois que la dégradation de la situation sociale et économique va soulever dans les mois qui viennent des problèmes communs aux travailleurs de toute l’Europe. La perspective des élections européennes en 2024 devrait inciter les forces de gauche, les forces syndicales et sociales en Europe à travailler dès maintenant ensemble à des objectifs de lutte communs.
Une interview à retrouver en allemand sur le site de Junge Welt : https://www.jungewelt.de/artikel/447503.macrons-rentenreform-es-ist-mehr-als-nur-eine-schwere-soziale-krise.html