Ce mercredi 15 septembre est la « journée internationale de la démocratie », qui salue l’adoption par l’ONU d’une déclaration universelle sur la démocratie. Vous n’en entendrez aucunement parler dans notre pays et pourtant quel sujet plus brûlant et plus fondamental que celui-là.
Cette initiative de l’ONU souligne un terrible paradoxe : jamais la démocratie n’a été autant menacée et, si l’existence de cette journée est utile, le respect et le développement de la démocratie exige un combat redoublé de tous les jours, y compris dans les pays comme les nôtres où les luttes populaires ont porté haut dans l’histoire ces combats pour la démocratie.
Récemment, la Fondation libérale Fondapol publiait une enquête sur le thème « Où va la démocratie ?» en interrogeant plus de 22 000 personnes dans les vingt-six pays de l’Union européenne. Dans leur majorité, les Européens, et parmi eux les Français, jugent que la démocratie représentative «fonctionne mal ou très mal». L’étude met en évidence les différents symptômes de cette crise de la représentation. Ainsi, très majoritairement, les citoyens européens estiment que la plupart des responsables politiques défendent avant tout leurs propres intérêts, que les femmes et les hommes politiques sont corrompus. Ils expriment de la défiance envers les parlementaires, les lieux et institutions de la démocratie, les partis politiques. Les médias et les syndicats semblent eux aussi massivement discrédités.
«Il importe de prendre en compte l’hypothèse d’un dépérissement démocratique, de s’interroger sur la situation présente et sur le possible devenir de la démocratie », commentait la Fondation. Nombreux seraient les exemples à prendre qui furent, ces dernières décennies, autant d’étapes de cette dégradation. Le sort réservé à l’expression populaire sur le TCE en 2005 en fut l’une des plus marquantes. En 2021, le constat reste le même, aggravé sans doute même. La participation, historiquement faible lors des dernières élections régionales, en fut un symptôme des plus alarmants. La manière dont on cherche à corseter le débat et les enjeux des échéances électorales de 2022 en est un autre.
A l’évidence, les pouvoirs en place ont besoin qu’on leur dégage le terrain et qu’on leur laisse les mains libres pour mener cette guerre économique féroce qu’est la
« concurrence libre et non faussée » à l’échelle du monde, qu’on les débarrasse de ces
« pesanteurs » que sont la fiscalité, les cotisations sociales, les droits des salariés, qu’on flexibilise le « marché du travail », qu’on privatise les entreprises nationales et les services publics, qu’on réduise les dépenses publiques, qu’on renonce au droit à la retraite, et qu’on renforce les fonctions dites «régaliennes» de l’État pour garantir la pérennité de ce nouvel ordre social.
Et alors même que la crise du covid, la crise climatique ou l’emprise mondiale des Gafam et des multinationales sur l’avenir de l’humanité posent tant de questions sur l’avenir de la démocratie, l’acharnement à poursuivre dans les mêmes voies reste partout le credo dominant. Et s’ouvrent ainsi les voies d’une théorisation sur le besoin qu’auraient les citoyens de régimes plus autoritaires pour remettre de l’ordre dans les sociétés.
Pourtant, à y regarder de près, les citoyens disent tout autre chose. Ainsi, selon l’IFOP, de 85 à 90 % des Français sont attachés à la démocratie ! Un score sans appel. Mais plus de 60 % considèrent qu’elle «fonctionne mal».
Les attentes des Français en matière d’amélioration de la démocratie place en tête l’exigence de prise en compte des pétitions citoyennes : 77 % pour «obliger les élus à débattre d’un sujet ou à étudier une proposition de loi si une pétition a recueilli un nombre très important de signatures», 69 % pour qu’une telle pétition puisse contraindre à organiser un référendum. Des résultats qui conduisaient le directeur de la revue ayant publié cette enquête d’opinion à constater : «Les Français souhaiteraient s’impliquer davantage. Ils peuvent aujourd’hui s’exprimer directement sur l’action politique via les réseaux sociaux, mais ne peuvent pas encore influencer directement les décisions politiques.»
C’est bien cela, en fait, qui est au centre du fossé qui s’est creusé entre les Français et la politique, les institutions, la notion même de démocratie. Beaucoup de nos concitoyens se sentent floués et méprisés et, bien sûr, d’abord celles et ceux qui perdent le plus à cette perte de substance de la démocratie, les plus jeunes et les couches populaires qui forment les gros bataillons des abstentionnistes. Ce qu’ils refusent, c’est la démocratie du « Je ne veux voir qu’une tête » réprimant l’antagonisme social.
C’est au contraire dans la reconquête de pouvoirs d’intervention à tous les niveaux de la société et dans les libertés que supposent l’exercice réel de ces pouvoirs, la liberté d’expression, de manifestation, d’organisation de forces diverses et opposées, dans la vivacité du débat et de la confrontation entre ces forces qu’ils reconnaissent la démocratie.
Depuis plus de deux siècles, cet appétit de liberté et de dignité parcourt l’histoire de notre peuple. On le reconnaît dans la formule fondatrice en 1789 de Sieyès, un des « pères » de la République : « Qu’est-ce que le Tiers-État ? Tout. Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique ? Rien ». On le retrouve dans l’affirmation du prolétariat clamée par l’Internationale : « Nous ne sommes rien, soyons tout ! ».
Cette exigence de devenir ou de redevenir «tout» s’appelle le droit à une citoyenneté pleine et entière dans la cité comme dans l’entreprise, pour maîtriser sa vie et son travail, dans une coopération librement consentie avec toute la communauté citoyenne. C’est ce droit qu’il faut revivifier, en revenant à son sens premier qui est son sens véritable : le droit d’exercer la plénitude des pouvoirs de la citoyenne ou du citoyen, porteur d’une part de la souveraineté du peuple ; le droit pour chacune et pour chacun de participer à la prise des décisions qui l’engagent dans une nouvelle République d’intervention citoyenne. Cela implique de lever les obstacles qui l’entravent: la logique monarchique des institutions, les coups portés à la démocratie représentative, la confiscation de la politique contre son exercice populaire par toutes et tous, l’omniprésence des «experts» et des institutions non élues.
En cette journée internationale de la démocratie, ce qui est urgent et frappe à notre porte est bien la volonté de « démocratisation de la démocratie ».
Cette exigence s’impose aujourd’hui à tous les niveaux, local, national, européen et mondial. L‘humanité, depuis qu’elle existe, n’a jamais été confrontée à des enjeux d’un tel niveau. Il s’agit du sort de la planète et du genre humain. De l’avenir des générations futures. Ce que les sociétés humaines ont construit peut bifurquer à nouveau grâce à l’intervention humaine démocratique et partagée. Rien n’est écrit. L’humanité peut s’extirper de l’engrenage autoritaire qui menace, pour échapper aux logiques prédatrices du capitalisme mondialisé.
Faire sauter ce verrou – ou plutôt, ces verrous, car ils sont nombreux –, du local au global, comme on dit, est une tâche centrale à l’ordre du jour de l’humanité.
Que cette journée internationale de la démocratie serve au moins à y réfléchir tous ensemble !.