TRIBUNE : Au coeur de la crise, construisons l’avenir

Il y a 3 ans, le 14 mai 2020

Par Pierre Laurent

Dans une longue tribune collective, 150 personnalités du monde politique, associatif, syndical et culturel appellent à  » préparer l’avenir « .   » Nous ne sommes pas condamnés à subir ! «  assurent-elles.  Elles  proposent qu’un grand événement, une  » convention du monde commun « , réunisse dans les prochains mois  » toutes les énergies disponibles « . La France affronte un séisme d’une ampleur […]

GARDONS LE CONTACT

Dans une longue tribune collective, 150 personnalités du monde politique, associatif, syndical et culturel appellent à  » préparer l’avenir « .   » Nous ne sommes pas condamnés à subir ! «  assurent-elles.  Elles  proposent qu’un grand événement, une  » convention du monde commun « , réunisse dans les prochains mois  » toutes les énergies disponibles « .

La France affronte un séisme d’une ampleur inouïe. Favorisée par la destruction de la nature, la pandémie a généré une crise économique de grande ampleur, une commotion sociale brutale, notamment pour les plus précaires, et une mise entre parenthèse du fonctionnement démocratique. Elle a révélé l’improvisation des pouvoirs publics face à cette crise majeure. L’engagement extraordinaire des soignantes et des soignants, le courage de celles et ceux qui n’ont cessé de travailler sans relâche au service de tous et le civisme de millions de personnes confinées dans des conditions difficiles appellent une reconnaissance unanime. Dès maintenant, il s’agit d’éviter le pire et de préparer l’avenir. La réparation des dégâts annoncés, la défense des libertés, l’obligation de préparer une société résiliente nécessitent de fortes dynamiques collectives. La crise confirme l’urgence radicale des grandes transitions. De cette impérieuse nécessité, faisons naitre une espérance. Nous ne sommes pas condamnés à subir !
Au coeur de cette crise, il nous faut tourner la page du productivisme. Il faut affronter les périls immédiats, s’accorder pour engager la transition écologique et dans un même mouvement les transformations sociales et économiques trop longtemps différées. L’impasse où nous ont conduits les politiques dominantes depuis quarante ans et le capitalisme financier exige une offensive résolue. Avec cette initiative commune, dans le respect de nos différences, nous nous engageons à la hauteur des principes que nos prédécesseurs ont affirmés dans la « reconstruction » qui suivit la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, en temps de paix, nous devons faire preuve d’une égale ambition, avec la volonté que les Français s’emparent de ces débats.
L’état d’urgence sociale doit se déployer dès maintenant dans l’ensemble du pays, à commencer par les quartiers populaires et les territoires ruraux, partout où la crise remet à vif la grande pauvreté et les inégalités. Les familles déjà vulnérables, comme celles qui viennent brutalement de plonger dans le chômage et la pauvreté, se comptent par millions. La solidarité nationale doit intervenir pour aider les locataires, contribuer à payer les factures d’eau et d’électricité, par l’aide alimentaire et la fourniture gratuite de masques, par des soutiens exceptionnels individualisés pour que vivent décemment celles et ceux, y compris les jeunes, qui ont vu leur travail et leurs revenus disparaitre. Cette crise doit enfin imposer un basculement des politiques publiques : « sortir » des dizaines de milliers de personnes de la rue, c’est affaire de dignité d’abord, mais aussi d’ordre public sanitaire et social.
Pour aller plus loin, la France, comme d’autres en Europe, doit imaginer et mettre en chantier dès cette année un nouveau modèle de protection sociale. Pour ces temps de grande transition, il y a urgence à assurer un revenu digne rendant possibles à toutes et tous la formation, l’accès à un nouvel emploi ou un projet professionnel. Compte tenu de la hausse explosive du nombre des sans-emplois, ce serait une faute historique de maintenir la « réforme » de l’assurance chômage de 2020. Il faut permettre dès maintenant à tous les territoires volontaires de mettre en oeuvre la belle initiative Territoires zéro chômeur de longue durée, inspirée des expériences du mouvement associatif. Quant aux travailleurs étrangers en situation irrégulière, soutiers plus anonymes encore de nos économies, leur accès au droit au séjour doit être facilité.
Pour pouvoir mobiliser les énergies de toutes et tous, il faudra inventer et consolider des protections collectives plus adaptées à notre temps, combler les failles majeures que la crise a soulignées, agir pour l’accès à la santé et des retraites décentes. Certains, à l’inverse, manifestent déjà la volonté de réduire les droits sociaux à la faveur de l’émotion générale, notamment sur la question du temps de travail. Nous ne laisserons pas faire, et nous demandons qu’il soit renoncé définitivement au projet de réforme des retraites qui mine la cohésion nationale dont nous avons tant besoin. Face à la précarité ou aux inégalités femmes-hommes, tous les travailleurs et travailleuses, indépendants, artisans et commerçants, professionnels des plates-formes, salariés en CDD, intermittents ou intérimaires, doivent être dotés de droits sociaux individuels complets et d’une capacité réelle de négociation collective.
Le statu quo n’est plus possible. Nous défendons une société de la reconnaissance, qui sache valoriser celles et ceux sans lesquelles elle ne tiendrait pas, dans la crise comme après. Travailleurs de l’aube et du soir, fonctionnaires de jour comme de nuit, soignants et enseignants dévoués, elles (très souvent) et ils sont en droit d’attendre bien sûr des primes immédiates et légitimes, mais aussi une amélioration significative et sans délai de leurs conditions d’emploi et de salaire, à commencer par le Smic. Lorsque ces personnes ont des enfants, la prise en charge par les employeurs des frais de garde, l’organisation de nouveaux centres de vacances dès 2020 avec les mouvements d’éducation populaire seraient aussi de justes rétributions. Le confinement a mis également en exergue la nécessité de reconnaitre le féminicide en droit français et de ne plus reporter un plan national d’ampleur contre les violences faites aux femmes et aux enfants, en doublant le budget alloué aux associations venant en aide aux victimes et aux lieux de prise en charge.
Les Français vivent intensément les effets de l’affaiblissement de notre système de santé. Sous tension bien avant le tsunami du Covid19, l’hôpital public a été asphyxié par des années d’austérité budgétaire et la marchandisation de la santé. Une loi de programmation doit assurer au plus vite un financement pérenne des investissements des hôpitaux et des Ehpad, rompre avec la spirale des fermetures de lits et permettre la revalorisation des métiers de soignantes et soignants. Cette refondation permettra de retrouver une capacité de prévision et d’anticipation, et les moyens d’affronter collectivement les chocs de grande ampleur. Elle devra également garantir à tout moment la disponibilité des principaux médicaments sur le territoire national. Elle assurera enfin la réhabilitation des soins de premiers recours, efficients et réactifs face à de nouvelles crises et la fin des déserts médicaux, indignes de notre pays.
L’avenir de notre économie et sa conversion écologique se jouent en ce moment. Le soutien public à la survie du système productif est vital. Il doit être associé à une conditionnalité environnementale et sociale exigeante. Des fleurons de notre économie sont au bord de la faillite, avec le cortège habituel de restructurations brutales et de chômage massif. Face à ces risques, la réaction de l’État en faveur de l’emploi doit être couplée à la mise en oeuvre accélérée de la transition écologique, à commencer par le respect des Accords de Paris sur le climat. C’est seulement ainsi que le sauvetage des emplois sera durable. Une politique industrielle crédible implique des choix stratégiques nationaux ; elle se construit dans chaque région avec toutes les parties concernées, entreprise par entreprise, branche par branche. La mobilisation doit intégrer pleinement les enjeux d’indépendance et de relocalisation, de recherche et d’innovation, mis en lumière de façon éclatante dans la crise actuelle.
D’ici la fin de cette année, il appartient à la puissance publique d’identifier avec tous les acteurs les secteurs stratégiques à relocaliser au niveau français ou européen, les chaines de valeurs à contrôler et les productions à assurer au plus proche des lieux de consommation. Les événements récents confirment une fois de plus les fragilités de l’Europe quand elle se limite à n’être qu’un marché livré aux excès du libre-échange, renonçant à protéger son économie. La signature des traités qui amplifient cet abandon doit être stoppée, et ceux qui existent déjà révisés. Rien ne sera possible sans un pilotage ambitieux du système de crédit, avec un pôle public de financement et la BPI jouant enfin réellement son rôle. La mise en oeuvre de nationalisations là où il le faut doit permettre non de mutualiser les pertes, mais d’atteindre des objectifs d’intérêt général. Dans ce but, il faudra aussi miser davantage sur l’économie sociale et solidaire pour mieux ancrer l’économie dans les territoires et impulser le nouveau modèle de développement.
Cette épidémie et sa propagation rapide sont liées à la destruction accélérée des habitats sauvages combinée à une mondialisation insuffisamment régulée. Elles renforcent l’urgence d’une remise en cause de notre mode de production et de consommation : la transformation écologique de la France est le nouveau défi de notre République au XXIème siècle. Cette prise de conscience des communs naturels à protéger et de l’impasse des modes de consommation actuels est essentielle, tout comme les combats de la gauche. Les propositions des participants de la Convention citoyenne pour le climat et sa méthode ont permis que progressent dans la société des projets d’une grande richesse. Les politiques publiques doivent être au rendez-vous de cette urgence planétaire.
Nous proposons que soit discutée et mise en oeuvre rapidement une Prime pour le climat, afin d’éliminer en priorité les passoires thermiques et sortir les plus pauvres de la précarité énergétique. Elle accompagnera aussi les travaux de rénovation énergétique rendus obligatoires pour l’ensemble du bâti afin d’atteindre deux millions de logements par an, en privilégiant les rénovations complètes. Des dizaines de milliers d’emplois non délocalisables pourraient être ainsi créés.
La France a besoin également de bâtir un plan ambitieux de transition vers une mobilité durable, pour soutenir l’électrification des motorisations, les modes de transports collectifs et partagés, la relance des réseaux ferroviaires, mais aussi l’extension du droit au télétravail dans des conditions protectrices pour les salariés.
Conçue pour éviter un recours accru aux énergies fossiles, dont les prix baissent du fait de la crise, la Contribution Climat Énergie doit s’accompagner de mesures de redistribution de grande ampleur pour en compenser les effets sur les plus vulnérables. Une relance publique du soutien à la transition écologique locale est plus que jamais indispensable afin d’impliquer beaucoup plus les territoires et les citoyen.ne.s dans le déploiement des projets collectifs d’énergies renouvelables. Ces investissements supplémentaires dans la transition écologique devront être sortis des critères budgétaires européens.
La refonte des aides de la PAC en soutien des petites et moyennes exploitations doit être accélérée, pour permettre une agriculture respectueuse de l’environnement, la croissance des productions bio, et pour développer le paiement des services environnementaux (stockage du carbone, arrêt des intrants chimiques…). Il faudra enfin donner toute sa place dans nos textes fondamentaux au droit de la nature et mettre en oeuvre de façon strict sur l’ensemble du territoire la politique du « zéro artificialisation nette » et la protection de la biodiversité.
Ces investissements massifs, pour l’immédiat ou le futur, exigent un financement soutenable et équitable. L’engagement de l’Europe en est l’une des clés. C’est une nécessité qui conditionne la survie de l’Union, quand les forces de démembrement prospèrent grâce au manque de solidarité européenne dans chaque moment de crise. On attend de l’Europe qu’elle conduise durablement une politique monétaire à la hauteur du risque actuel, mais aussi qu’elle mette en oeuvre des formes inédites de financement en commun pour empêcher une hausse de l’endettement des États, en particulier les plus affectés par la crise sanitaire. Il faudra aussi dès les prochains mois engager le chantier de la restructuration des dettes héritées des crises successives.
Tous les pays en ont en effet un urgent besoin pour permettre un nouveau départ et la transformation de leurs économies tellement interdépendantes. Ces financements européens ne sauraient être assortis des mesures d’austérité qui ont creusé entre les peuples des blessures encore inguérissables. Les conditionnalités aujourd’hui se nomment écologie, cohésion sociale et respect de la démocratie. Une transformation profonde des structures de l’Union européenne est indispensable pour rendre possibles ces politiques ambitieuses de solidarité. Cela implique la remise en cause du pacte budgétaire.
Mais l’Europe ne pourra pas régler seule l’addition de la crise. Les États devront eux aussi apporter une réponse fiscale et budgétaire dans un esprit de justice. Pour corriger les inégalités creusées au cours des dernières décennies et aggravées par la crise, et pour prévenir l’effondrement de nos sociétés. La France doit rétablir un Impôt de solidarité sur la fortune, mettant à contribution les patrimoines les plus élevés, et renforcer la progressivité de sa fiscalité sur les revenus, notamment ceux du capital, largement érodée depuis 2017. Compte tenu de l’ampleur des dépenses engagées pour faire face à la crise, elle devra appeler une contribution anti-crise des citoyens les plus aisés. La taxation des secteurs qui ont bénéficié de la crise et de ceux qui ont décidé, au coeur de la tempête, de continuer à distribuer des dividendes ou à s’enrichir à l’abri des paradis fiscaux doit être proposée sans délai au Parlement. La maitrise à l’avenir des écarts de salaires au sein des entreprises participe de ces préalables de justice : au-delà d’un écart d’un à douze, il ne serait plus possible de déduire les rémunérations et les cotisations de l’impôt sur les sociétés. Ces choix sont inséparables d’une action ambitieuse pour que les bénéfices des sociétés multinationales cessent d’échapper largement à la fiscalité française, notamment en les obligeant à une totale transparence sur leurs activités et les taxes payées dans les pays où elles sont présentes. Cette reconquête ne sera complète que lorsque les géants du numérique contribueront par un impôt juste aux efforts d’investissement qui attendent la France et l’Europe.
Ces mesures n’auront de sens et d’efficacité que si dans l’après-crise, une transition démocratique offre à tous la capacité d’agir pour un monde commun. La verticalité du pouvoir fracture la société. Elle alimente l’impuissance et la défiance. C’est l’échec de la Vème République. Seule une refondation de nos institutions permettra de le dépasser. Il est impératif de ne pas confier à un « sauveur suprême » ou au pouvoir technocratique « la sortie de crise », mais au contraire d’augmenter la participation des citoyen.nes aux décisions qui les concernent et cela à tous les niveaux.
Réussir les transitions exige un développement des emplois publics partout où leur manque cruel se vérifie aujourd’hui. Il faudra aussi rénover l’action publique en inventant les outils, l’organisation, les métiers du secteur public de demain. Rien ne progressera sans des délibérations collectives, valorisant bien davantage les citoyens et leurs compétences, l’éducation, l’innovation sociale et la création culturelle, les territoires, villes et villages.
Cet impératif s’adresse aussi aux entreprises : pour réussir la sortie de crise, il faut y faire entrer la démocratie en associant réellement les salariés à leur stratégie. Cela doit s’incarner dans une codétermination à la française avec la présence de 50% de représentants des salariés dans les conseils de surveillance ou les conseils d’administration des grandes entreprises et le renforcement des pouvoirs des représentants des salariés à tous les niveaux.
Lourde de souffrances inédites, cette période ne doit pas confisquer les espoirs de changement, bien au contraire. Faisons place à l’action collective et à ces premières convergences. Pour être à ce rendez-vous de notre Histoire, nous proposons qu’un grand événement, une « convention du monde commun », réunisse dans les prochains mois toutes les énergies disponibles, les citoyennes et citoyens épris de profonds changements, les formations politiques, les forces associatives, les initiatives que portent syndicats et ONG. C’est une première étape cruciale et attendue pour une alternative démocratique, écologique et sociale. Nous voulons lui donner la force de notre engagement.
Premiers signataires* :
Syamak Agha Babaei, Christophe Aguiton, Amandine Albizzati, Claude Alphandery, Nathalie Appéré, Guillaume Balas, Jeanne Barseghian, Marie-Laure Basilien-Gainche, Laurent Baumel, Romain Beaucher, Anne-Laure Bedu, Jacqueline Belhomme, Esther Benbassa, Patrice Bessac, Olivier Bianchi, Habiba Bigdade, Loïc Blondiaux, Alice Bosler, Maurice Braud, Rony Brauman, Axelle Brodiez, Ian Brossat, Philippe Brun, Julia Cagé, Sophie Caillat, Andrea Caro, Fanélie Carrey-Conte, Lucas Chancel, Pierre Charbonnier, Christian Chavagneux, Alain Coulombel, Annick Coupé, Jezabel Couppey-Soubeyran, Françoise Coutant, Thomas Coutrot, Cécile Cukierman, Ronan Dantec, Joël Decaillon, Carole Delga, Stéphane Delpeyrat, Laurianne Deniaud, Emmanuel Denis, Gregory Doucet, Marie-Guite Dufay, Cécile Duflot, Antoine Dullin, Jérôme Durain, Guillaume Duval, Timothée Duverger, Nicolas Duvoux, Anne Eydoux, Olivier Faure, Rémy Féraud, Aurélie Filippetti, Diana Filippova, Alain Foix, Didier Fradin, Philippe Frémeaux, Guillaume Garot, Karl Ghazi, Jean-Luc Gleyze, Raphael Glucksmann, Daniel Goldberg, Guillaume Gontard, Gaëtan Gorce, Aziliz Gouez, Bernadette Groison, Florent Gueguen, Denis Guenneau, Hélène Hardy, Jean-Marie Harribey, Anne Hessel, Catherine Hoeffler, Pierre Hurmic, Marie-Hélène Izarn, Pierre Jacquemain, Yannick Jadot, Hugues Jallon, Vincent Joineau, Régis Juanico, Nina Karam-Leder, Pierre Khalfa, Yazid Kherfi, Hella Kribi-Romdhane, Thierry Kuhn, Joël Labbé, Guillaume Lacroix, Delphine Lalu, Aurore Lalucq, François Lamy, Sandra Laugier, Pierre Laurent, Guillaume Le Blanc, Joël Le Coq, William Leday, Claire Lejeune, Corinne Lepage, Elliot Lepers, Nadine Levratto, Medhi Litim, René Louail, Benjamin Lucas, François Mandil, Bénédicte Manier, Edouard Martin, Gus Massiah, Nora Mebarek, Dominique Meda, Philippe Meirieu, Claire Monod, Beligh Nabli, Naïri Nahapetian, Alexandre Ouizille, Christian Paul, Renaud Payre, Willy Pelletier, Camille Peugny, Maxime Picard, Thomas Piketty, Eric Piolle, Dominique Plihon, Dominique Potier, Alexis Poulin, Angèle Préville, Audrey Pulvar, Valérie Rabault, Jean-Paul Raillard, Gilles Raveaud, Sandra Regol, Nadine Richez-Battesti, Martin Rieussec-Fournier, Jacques Rigaudiat, Marie-Monique Robin, Johanna Rolland, Barbara Romagnan, Laurence Rossignol, Muriel Rouyer, Virginie Rozière, Michèle Rubirola, Bernard Saincy, Eva Sas, Mounir Satouri, Frédéric Sawicki, Laurence Scialom, Sabrina Sebaihi, Aissata Seck, Gabrielle Siry, Emmanuel Soulias, Jo Spiegel, Olivier Szulzynger, Sophie Taille, Bernard Thibault, François Thiollet, Isabelle This Saint-Jean, Stéphane Troussel, Henri Trubert, Hulliya Turan, Boris Vallaud, Najat Vallaud-Belkacem, Shahin Vallée, Antoine Vauchez, Denis Vicherat, Anne Vignot, Patrick Viveret.

 

 

Loi de programmation militaire : 413 milliards pour la guerre ?

Il y a 3 mois, le 28 juin 2023

Par Pierre Laurent

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Monsieur le rapporteur, Mes chers collègues,   Avec cette Question Préalable, le groupe CRCE souhaite poser à notre Haute Assemblée une question simple : est-il vraiment sérieux de débattre dans ces conditions d’une Loi de programmation militaire d’un montant exceptionnel de 413 milliards d’euros ? Son ampleur, le tournant stratégique […]

GARDONS LE CONTACT

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Monsieur le rapporteur,

Mes chers collègues,

 

Avec cette Question Préalable, le groupe CRCE souhaite poser à notre Haute Assemblée une question simple : est-il vraiment sérieux de débattre dans ces conditions d’une Loi de programmation militaire d’un montant exceptionnel de 413 milliards d’euros ?

Son ampleur, le tournant stratégique qu’elle opère, son poids énorme face à tous les autres budgets de la Nation, pour le climat, la réindustrialisation, le logement, la santé, l’éducation… Tout appelait à ce qu’elle fasse l’objet d’un large débat avec la Nation. Le terme initial de l’actuelle LPM en 2025 le permettait.

Monsieur le Ministre, le 22 mai à l’Assemblée nationale, vous avez vous-même déclaré que cette LPM est « un défi aussi important que celui qu’ont dû relever les gaullistes dans les années 1960 ». C’est vrai, mais avec une différence de taille : le général de Gaulle installait alors le choix de construire l’indépendance de notre défense. Vous faites aujourd’hui celui de l’otanisation et de la guerre.

Le débat démocratique sur vos choix n’en était donc que plus impérieux, mais vous en avez décidé autrement.  Le Président a confisqué l’évaluation stratégique, préalable nécessaire à toute LPM. Il l’a réduite à l’écriture en cercle restreint d’une « revue nationale stratégique ».

Jusqu’ici sous la Cinquième République, les grands tournants de la stratégie militaire française ont tous été pris suite à la publication de Livres Blancs.

Je ne vous apprendrai pas que les communistes, constants et cohérents, attachés à une défense nationale indépendante, ont souvent fait valoir des désaccords essentiels avec les orientations de ces Livres Blancs. Mais ces documents avaient au moins le mérite de permettre un débat stratégique d’ampleur, animé par une Commission dédiée, associant pendant une année entière la représentation parlementaire, les grandes administrations de l’État et les hiérarchies militaires.

Là, plus rien. Une consultation confinant à la parodie, avec un questionnaire remis aux commissions parlementaires douze jours avant le discours de Mont-de-Marsan ! Voilà la tare originelle de cette LPM. Elle porte la marque d’un grave défaut de conception démocratique.

Pour cette question préalable, je m’en tiendrai à trois critiques majeures.

 

Je tenterai de vous convaincre, chers collègues,  de la nécessité de reprendre le débat sur d’autres bases. Car une autre politique de défense est possible pour notre pays.

D’abord, cette LPM nous éloigne des objectifs de défense de la Nation au profit du choix de la guerre – et en l’occurrence de la guerre projetée hors de nos frontières.

« Avoir une guerre d’avance » : c’est votre nouveau mantra. Derrière le panache apparent de cette formule, se cache un profond défaitisme, un choix dangereux pour la sécurité collective. On nous dit que la paix n’est plus une option, qu’il faut prendre place dans la grande dérive militariste mondiale.

C’est oublier toutes les leçons du XXème siècle. La militarisation et le surarmement, singulièrement en Europe,  ont toujours préparé la guerre, et bien pire encore, jamais la paix !

 

C’est oublier toutes les leçons des trente dernières années. Après la chute du Mur, le monde n’a pas été en paix. L’Occident a usé de sa puissance pour multiplier les guerres : guerre du Golfe, ex-Yougoslavie,  Afghanistan, Irak, Libye, Sahel… Pour quels résultats ? Le chaos, l’insécurité, la déstabilisation durable des États et la militarisation des sociétés… Jamais la paix durable !

C’est oublier que la guerre affame les peuples et nourrit les fauteurs de guerre. Dans ce chaos prolifèrent les monstres et les entrepreneurs de violence : terroristes, milices et sociétés paramilitaires privées, trafics de drogue et d’armes, traites d’êtres humains, nationalismes guerriers et impérialismes régionaux, extrêmes-droites et radicalismes religieux… Le surarmement nourrit la guerre, il ne la désarme jamais.

Les arsenaux nucléaires prolifèrent à nouveau. Le réarmement naval est à un niveau inédit depuis 1945. Les budgets militaires explosent, en Europe comme au Moyen-Orient et en Asie.

Face à la Chine, les États-Unis veulent entraîner tous leurs alliés dans un dangereux continuum compétition économique/guerre militaire. Quant à la Russie, elle s’enfonce dans une guerre en Ukraine aux coûts humains, économiques et militaires astronomiques, aux conséquences imprévisibles pour l’Europe et pour elle-même, comme vient de le révéler l’incroyable épisode de la rébellion Wagner.

Quand allons-nous enfin nous réveiller ? Quand allons-nous cesser cette insupportable banalisation de la guerre ? Pour notre part, nous appelons toutes les consciences libres à s’insurger contre cette folie. D’autres chemins sont possibles.

Vous allez me dire que nous sommes naïfs, que la menace est partout, que la guerre en Ukraine dit qui est l’ennemi et qu’il faut bien riposter, se réarmer dans tous les domaines ?

 

Oui, le monde a effectivement changé et les menaces sont nombreuses, mais vous vous trompez sur le diagnostic de ces bouleversements et les moyens de conjurer ces menaces. Vous vous trompez d’époque. La guerre de Poutine en Ukraine n’est pas le symptôme du retour des blocs d’hier. C’est un signe de plus de la dé-civilisation du monde qu’entraîne la militarisation des relations internationales et l’affrontement de plus en plus violent des logiques de puissance.

Le chaos mondial est le résultat paradoxal d’un monde plus interdépendant, mais pourtant toujours plus inégal. Pour relever les grands défis mondiaux, tout appelle le partage et les plus riches le refusent. La loi du plus fort, la puissance militaire, ne régleront plus les problèmes, bien au contraire.

Faut-il suivre alors les États-Unis, ou tout autre d’ailleurs, dans l’escalade militaire ? Faut-il les suivre quand ils cherchent à déstabiliser toute puissance émergente pour maintenir coûte que coûte leur leadership planétaire ? Est-ce la voie que la France doit suivre ?

 

Je ne le crois pas, et c’est la deuxième conviction que je veux partager avec vous. La stratégie d’alignement derrière les États-Unis et le bloc occidental que poursuit de facto cette LPM est dangereuse pour notre pays, pour l’Europe, pour la paix mondiale.

Les paradoxes apparents de la LPM – soulignés d’ailleurs dans les débats de la Commission des Affaires étrangères du Sénat –, n’en sont pas. Dissuasion nucléaire, porte-avions, espace, fonds marins : dans tous les domaines, cette LPM court après la sophistication militaire. Au risque d’y perdre notre boussole et la mesure de nos moyens réels. Et tout cela au titre d’une « haute intensité », en vérité uniquement entendue comme la capacité de projection de nos armées dans des opérations militaires de l’OTAN hors de nos frontières. L’intégralité du vocabulaire du concept stratégique de l’OTAN, révisé à Madrid, est d’ailleurs recyclé dans la LPM.

L’otanisation complète de l’Europe est en cours. Elle met à bas toute velléité d’autonomie stratégique européenne. Elle finance en premier lieu les industries américaines de l’armement.

Le bloc atlantiste n’offre pourtant qu’une cohérence de façade et est incapable d’enrayer les velléités bellicistes et expansionnistes de certains de ses membres. La Turquie d’Erdogan, à l’opportunisme géopolitique décomplexé, en est l’exemple le plus criant. Et que dire de nos alliés des monarchies du Golfe  ? Que dire en Europe même de la Hongrie, de la Pologne, de l’Italie… et du poids grandissant dans ces pays d’extrêmes-droites racistes et militaristes ?

 

Pour notre part, nous vous proposons de remettre la LPM en chantier, car ses objectifs se trompent sur le monde à construire.

Vous sautez comme des cabris : « La guerre, la guerre, la guerre ! » Mais vous ne voyez pas le nouveau monde qui s’avance. Quand accepterez-vous d’entendre qu’une majorité de peuples du monde ne veut plus avoir à s’affilier à telle ou telle superpuissance ? Les peuples aspirent à maîtriser leurs destins, à disposer de souverainetés pleines et entières, à décider librement de leurs alliances et coopérations. Vous restez accrochés à vos schémas. Hors de l’OTAN, vous ne voyez que la « main de Moscou » ou « celle de Pékin », quand tant de pays en réalité cherchent de nouveaux partenariats, plus équilibrés.

Comment pouvez-vous ignorer que les insécurités sanitaire, alimentaire, énergétique, climatique, que l’absence de partage réel de la gouvernance politique de la mondialisation,  sont au cœur de tous les conflits, et par conséquent à la racine de toutes les guerres ?

Entendez le constat lucide du secrétaire général de l’ONU : « Si nous ne nourrissons pas les gens, nous nourrissons les conflits » !

Vous persistez ad nauseam avec des mécanismes qui ont échoué à construire la paix. Vingt ans de « guerre au terrorisme » s’achèvent par le départ des troupes américaines d’Afghanistan. En proie à la famine, le pays est devenu un narco-État sous domination des talibans. Dix ans de Barkhane au Sahel n’ont ni éteint le djihadisme, ni permis le développement de la région.

Il est temps de changer de paradigme. L’agenda pour la paix et la sécurité collective, c’est la construction d’une sécurité humaine globale, répondant aux besoins vitaux des populations, leur permettant de cohabiter en paix, dans la durée et autour de perspectives de développement !

 

La France dispose encore d’une voix écoutée dans le monde.  Utilisons la pour relancer tous les processus de désarmement multilatéraux, conventionnels comme nucléaires ! Utilisons la pour clamer le droit à la paix, ce mot que certains voudraient aujourd’hui tabou !

Jamais nous ne nous rallierons à cette affirmation absurde selon laquelle est désormais dépassé le temps des « dividendes de la paix ». Non seulement la paix n’a pas de prix, mais elle est et restera le seul horizon raisonnable pour l’Humanité.

C’est pourquoi, constants et cohérents, nous serons tout au long des débats animés par une double conviction : garantir à notre pays une défense souveraine et solide, agir pour que grandissent partout des coalitions de la paix.

Je vous remercie.

 

Seul le prononcé fait foi

La France, Mayotte, et les Comores : sortir de l’impasse, construire un avenir solidaire

Il y a 4 mois, le 12 juin 2023

Par Pierre Laurent

Le 10 juin, j’ai eu le plaisir de rencontrer de nombreux responsables de la communauté comorienne en France. À cette occasion, j’ai prononcé cette intervention sur les relations entre la France, Mayotte et les Comores, rappelant la nécessité de construire un avenir solidaire pour tous dans l’océan indien.

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Mesdames, Messieurs,
Chers amis, Chers camarades,

Je vous remercie de m’avoir invité à votre initiative. Dès le début de son premier mandat en 2017, Emmanuel Macron s’était fait connaître aux Comores en tenant des propos insultants envers les milliers de morts au large de Mayotte. ll avait osé dire au cours d’une visite dans un Centre régional de sauvetage maritime dans l’ouest de la France que « le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien ». Voilà le visage d’une condescendance qui en disait long déjà à l’époque, d’autant que l’État français porte une très lourde responsabilité dans ce crime affreux qui se perpétue et qui fait de la mer d’Anjouan le plus grand cimetière marin du monde.

L’opération Wuambushu à Mayotte, qui vise à la destruction de bidonvilles et à l’expulsion de milliers de femmes et d’hommes, est dans la triste continuité de ces déclarations de Macron. Il s’agit d’une véritable opération de ratissage orchestrée par le gouvernement français, appuyée par un déploiement massif de forces militaires et policières, qui vise à détruire des dizaines de quartiers d’habitat informel et à expulser des centaines, voire des milliers de ressortissants comoriens.

A l’instar de nombreuses agences internationales, institutions nationales ou associations (UNICEF, CNCDH, LDH, Cimade) qui ont alerté sur les graves atteintes aux droits fondamentaux des personnes visées par cette opération, en particulier les enfants, le PCF et leurs élus condamnent ces agissements inqualifiables. Une partie est d’ailleurs condamnée par la justice. Tout comme il condamne les déclarations irresponsables de dirigeants politiques hexagonaux et mahorais, qui ne font qu’exacerber les tensions.

L’opération Wuambushu, en plus d’être liberticide, ne résoudra aucun des problèmes ni de l’île de Mayotte, ni du reste des Comores. Comme je l’ai déjà souligné lors de ma rencontre avec Mohamed Soilihi et Ben Halidy Halidi, l’opération Wuambushu est la dernière pièce d’une politique répressive qui a d’ores et déjà produit un cimetière maritime engloutissant des milliers de vies, à l’image de ce qu’il se passe dans la Méditerranée.

Notre solidarité internationaliste de communistes nous amène aussi à avoir une position sur le non-respect du droit international par notre pays en ce qui concerne Mayotte et les Comores. En effet depuis le début, la volonté coloniale avec la complicité d’élites locales, a été de garder la main sur Mayotte. Cette politique s’est appuyée sur une stratégie de division. D’un côté, les Comores ont été déstabilisées, déstructurées par l’intermédiaire de multiples coups d’État orchestrés par des mercenaires agissant souvent à la solde de Paris. De l’autre, la France a assuré une stabilité d’apparence à Mayotte et un développement asymétrique, à l’aide de nombreux financements. Cela a créé un contexte favorable pour l’organisation de référendums illégaux au regard du droit international, condamnés par l’ensemble des pays africains. Les consultations ont été organisées à l’échelle du pays, mais la France a entrepris d’analyser les résultats île par île, afin de justifier la « recolonisation » du territoire visé.

Le droit international est pourtant sans ambiguïté. La Résolution 1514, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée générale de l’ONU le 14 décembre 1960 fixe l’intangibilité des frontières coloniales : « Toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies». Le droit international précise par ailleurs que le parlement du pays colonisateur n’est absolument pas fondé pour décréter l’indépendance d’un territoire particulier. L’ONU « condamne les référendums du 8 février et du 11 avril 1976 organisés dans l’île comorienne de Mayotte par le Gouvernement français et les considère comme nuls et non avenus » ainsi que « toutes autres consultations qui pourraient être organisées ultérieurement en territoire comorien de Mayotte par la France. » Cela vaut donc aussi pour le référendum au cours duquel la population de Mayotte a approuvé le statut de Département d’Outre-Mer le 29 mars 2009.

Voilà l’origine, la genèse de ce drame. Le droit international a été bien pensé et construit pour éviter justement ce genre de situation. Quand l’Etat français à tordu et piétiné ce droit international en y opposant une modification de notre propre constitution, alors il s’est prêté à cette dérive et a créé les conditions du désastre auquel nous assistons. De ce point de vue, je veux rappeler avec force que le Parti communiste français s’est depuis le début opposé à cela. Nous avons même démontré depuis de nombreuses années qu’un scénario du pire était à craindre, tellement la situation constituait une bombe à retardement. On peut reprendre nos interventions au Sénat ou à l’Assemblée, ou tout simplement nos déclarations publiques, il se passe exactement ce qui nous redoutions à l’époque.

Donc ceux qui gonflent les muscles aujourd’hui, ceux qui font semblant de s’apitoyer sur la situation et sur les violences ont pourtant été alertés : ils savaient ce que leur propre politique allait produire. Non seulement, les uns et les autres ont laissé faire mais ils ont participé à aggraver au fil des ans leurs sinistres politiques. « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes » disait Bossuet, écrivain français du 17ème siècle. Cette analyse, pour ce qui nous concerne, s’appuie sur une approche assez simple finalement : on ne divise pas les peuples au risque de semer le chaos. Oui, l’Etat français a participé à diviser le peuple Comorien pour dominer la région, il a semé des graines détestables qui germent aujourd’hui sous forme y compris d’une xénophobie absurde et dangereuse. Il n’y a qu’à voir d’ailleurs le score de Le Pen à Mayotte aux dernières élections. Je rappelle d’ailleurs que le piège Le Pen est là, à Mayotte comme en France, pour absorber la colère, la stériliser, et pour faire bouillir la haine. Ce piège Le Pen, avec son faux discours, vise à empêcher toute réponse humaine, de solidarité, de progrès.

C’est donc ce crime originel de l’Etat français, au fil des années, qui a produit le désastre. Et il faudra en sortir, car le statut quo n’est plus possible. L’écart de développement renforcé par la France pour creuser un fossé entre Mayotte et les autres îles de l’archipel des Comores produit une déflagration croissante. Le fait que Mayotte ait accédé au statut européen de région ultrapériphérique (RUP), qui lui permet de bénéficier de fonds structurels de l’Union européenne pour son développement économique, va dans le même sens et creuse toujours davantage les inégalités. Celles-ci ne pourront se résorber que si l’ensemble de l’archipel se développe de manière équilibré.

L’asymétrie voulue par la France est un piège qui se retourne contre l’ensemble des Comoriens, Mahorais compris. Mayotte est à l’image des problèmes du monde : il ne peut pas exister de lieu d’apparente et d’illusoire prospérité côtoyant la misère. D’autant que l’État n’a pas assuré ses engagements à Mayotte. La stabilité, les services publics et les avantages tant miroités de la départementalisation ne sont pas au rendez-vous. Le manque de financements obère tout « rattrapage ».

La politique du bâton à Mayotte a atteint ses limites et génère des contradictions indépassables. Des milliers d’enfants dont les parents ont été expulsés de Mayotte se retrouvent livrés à eux-mêmes. Si il y a quelques années la politique de Trump de séparation des familles a provoqué une indignation salutaire dans le monde, c’est pourtant un résultat similaire qui frappe des familles comoriennes, avec des enfants séparés de leurs parents, ce qui contribue aussi aux nombreux problèmes de sécurité que subissent les populations. Le chômage est endémique, la délinquance prolifère, les services publics sont dépassés, à l’image de la maternité de Mamoudzou. Face à la contestation, à la colère, aux risques de divisions et de dérapages engendrés par cette situation délétère, le gouvernement multiplie les promesses sécuritaires et de colmatage incapables d’apporter des solutions à la profondeur des déflagrations en cours. D’autant qu’elles éludent toute issue sérieuse.

Cette issue sérieuse que nous appelons tous ici de nos vœux, passe aussi par le rétablissement de l’État de droit aux Comores, mis à mal par l’actuel chef de l’État Assoumani Azali, qui a un soutien inconditionnel du pouvoir français. Nous avons ensemble évoqué ce sujet mon cher Mohamed.

Il y a besoin d’une discussion globale entre tous les acteurs concernés, dont bien sûr le gouvernement français, sur l’avenir de la zone : développement économique, services publics… Il s’agirait de mettre en œuvre une véritable politique de codéveloppement dans cette zone de l’Océan indien, avec l’ensemble des pays et régions concernés et dans le cadre d’une facilité de circulation grandement améliorée et mise en place rapidement. Cela passe donc par l’abolition du visa Balladur.

Plus globalement pour l’avenir de l’archipel, des réponses nouvelles doivent être trouvées. Il est illusoire de penser que Mayotte puisse s’en sortir seule, quand bien même un improbable « plan Marshall » viendrait à sa rescousse. La France qui veut soumettre les autorités comoriennes afin qu’elles renoncent à l’intégrité des Comores, doit changer d’option. Personne n’a intérêt à rester au statu quo. La réponse aux défis passe par un avenir commun entre Mayotte et l’archipel. Il faut réparer les béances ouvertes, tant sur le plan du droit, de la symbolique, de la culture ou du développement économique.

Publié par le journal Médiapart ce jeudi 8 mars, un rapport camouflé par le gouvernement souligne une nouvelle fois cette urgence en révélant la situation de crise dont souffre Mayotte. Rédigé par l’inspection générale de six ministères (intérieur, justice, affaires sociales, finance, éducation et affaires étrangères), ce compte rendu relate la défaillance de l’État sur l’île dans les domaines de la santé, du logement, de l’éducation, de la justice ou encore de la sécurité. Ce rapport gardé sous le boisseau est une sorte de portrait général de l’île de Mayotte qui est absolument catastrophique en ce qu’il dévoile. Les administrations publiques et notamment de l’État, n’arrivent pas à endiguer les multiples crises qui secouent l’archipel depuis longtemps. Depuis des années mon amie Eliane Assassi, la présidente du groupe Communiste au Sénat, mon amie Laurence Cohen, Sénatrice communiste du Val-de-Marne et membre de la commission des affaires sociales, dénoncent cette situation affreuse et apportent leur solidarité y compris en allant sur place. Mon ami Jérémy Bacchi, Sénateur Communiste de Marseille a récemment posé une question d’actualité sur la situation dramatique de l’île.

Devant la dégradation de la situation, l’heure n’est pas à montrer ses muscles coloniaux mais à faire preuve de retenue et d’humilité. Face à une situation de plus en plus absurde et dangereuse, il faut que nous soyons rapidement en capacité de mener des actions communes pour accélérer la prise de conscience sur ce dossier et avancer vers des solutions concrètes.

La tâche n’est pas simple, car comme à chaque fois qu’il y a une crise, ou même une guerre, une fois que le mal est fait on ne peut plus le réparer aussi facilement qu’avant. Il faut donc imaginer, produire un scénario alternatif pour construire une issue au contentieux, qui apporte sur le plan du droit international, des réponses immédiates aux problèmes urgents, et pour plus tard, des réponses acceptables et désirables par tout le monde, sur toutes les îles de l’archipel. Il faut réparer les divisions et les asymétries, cela ne peut se faire non pas avec des logiques répressives et seulement de sécurité ou de police, mais par la reconstruction de solidarités. Avec l’idée que les peuples des îles comoriennes ne font qu’un, ils ont évidemment une destinée commune. On ne peut pas vivre bien sur une île si celle d’à côté souffre. L’idée à véhiculer, à répandre est la suivante : « On ne peut pas vivre bien si son voisin souffre. Nous avons les mêmes intérêts, les mêmes problèmes. J’ai donc intérêt à ce que mon voisin voie ses conditions de vie s’améliorer, et il faut lutter ensemble pour cela ». Cette approche définit en partie la gauche sur le plan politique. Alors qu’à droite on cultive les divisions, les mises en concurrence, les oppositions entre travailleurs partout dans le monde.

Au-delà de cet aparté, et si vous me le permettez, j’ai le sentiment qu’il nous faudra faire preuve d’une grande créativité pour cette feuille de route dégageant une issue pour les peuples des Comores. Nous avons besoin de votre réflexion, de votre expérience, nous pouvons y contribuer à notre niveau, pour ensemble imaginer les chemins à emprunter afin de réparer les dégâts et arriver à décoloniser les Comores, avec une sorte de 2ème indépendance. Cela passe vraisemblablement par des étapes, pour à la fois viser notre objectif commun, et être crédible et utiles sans attendre, c’est-à-dire dès maintenant, en nous posant les questions du type de bataille à mener, des propositions à faire, des coopérations à développer, et y compris de l’évolution du statut de l’île de Mayotte.

En tant que Comoriens vivant en France ou Français avec des origines comoriennes vous pouvez être pleinement acteurs de ces changements nécessaires pour les habitants des Comores, de Mayotte et de l’Hexagone. Ne nous interdisons rien et avançons ensemble en ce sens.

Je vous remercie.

Mon discours au Sénat : « En Afrique, la France doit changer de logiciel ! »

Il y a 4 mois, le 7 juin 2023

Par Pierre Laurent

Mercredi 6 juin, le Gouvernement organisait un débat au Sénat sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution, concernant la politique de la France en Afrique. Je suis intervenu au nom du groupe CRCE, pour appeler à un changement complet de logiciel concernant nos relations avec le continent africain !

GARDONS LE CONTACT

Monsieur le Président,

Madame la Ministre, Monsieur le Ministre,

Mes chers collègues,

 

La déclaration du Gouvernement sur la politique de la France en Afrique dont nous débattons ce soir s’inscrit dans la droite ligne du discours du chef de l’État du 27 février dernier. Dans ce discours, le chef de l’État a proclamé que la France doit refuser d’entrer dans une logique de compétition, qu’il faut tourner la page de l’économie de rente, qu’il convient d’entrer dans une logique partenariale d’investissement solidaire.

Mais le problème, c’est que tous les fondamentaux dépassés de nos rapports économiques, qui sapent depuis tant d’années le développement des pays africains, et qui sapent aujourd’hui la confiance dans notre relation à l’Afrique, sont aujourd’hui maintenus au mépris de tous les nouveaux enjeux du XXIᵉ siècle.

Alors que les pays africains cherchent par exemple, le financement de leur développement, nous continuons de faire l’éloge de la pseudo-réforme unilatérale du franc CFA, qui laisse en l’état les instruments de la domination monétaire en vigueur, et n’a constitué en vérité qu’une OPA hostile, visant à tuer dans l’œuf le projet de monnaie ouest-africaine de la CEDEAO. L’Afrique, elle pourtant, continue de parler de retrouver de la souveraineté monétaire. Mais quand j’ai interrogé, dans la foulée de ce débat, le gouvernement sur le stock d’or de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest, qui est toujours détenu à 81 % à la Banque de France, ou sur la publication d’une annexe mentionnée à la convention de garantie entre la Banque centrale de l’Afrique de l’Ouest et la République française, on m’a répondu « circulez, il n’y a rien à voir ».

Nous parlons d’être un partenaire d’avenir du développement de l’Afrique, mais nous ne portons pas le fer contre l’organisation du commerce international, la nature des échanges franco-africains qui l’entrave, les traités de libre échange foncièrement inégaux, le démantèlement des services publics et des embryons d’État social dans ces pays, la course au moins-disant fiscal, le nivellement par le bas de la protection des travailleurs, les politiques de prédation et de maxi-bénéfices des multinationales qui agissent sur place en toute impunité.

Dans le cas de la France, par exemple, si le commerce extérieur en Afrique subsaharienne ne représente qu’environ 2% de notre commerce extérieur, les parts de marché, nous le savons tous, sont concentrées dans les mains de quelques grands groupes qui font des affaires avec un taux de profit indécent, en complicité avec des élites extraverties et corrompues, au détriment de la très grande majorité des Africains. J’ai souvent dénoncé des exemples caricaturaux, comme la surfacturation par des groupes français du train urbain d’Abidjan, ou les profits accumulés par le groupe Bolloré dans les ports ouest-africains, dont il est parti sans égard pour les pays concernés.

Le coût pour les peuples africains du maintien de ces rapports économiques est exorbitant. Il se nomme grande pauvreté, sous-alimentation, maladies endémiques, insécurité, corruption des élites, migrations forcées. Et c’est tout cela dont les jeunesses africaines ne veulent plus ! Quand allons-nous comprendre que le rejet de la politique française trouve ici ses racines profondes, et ne peut être réduit au succès d’influences russes, turques, chinois ou d’autres encore ?

Quand tirerons-nous vraiment les leçons des dizaines d’interventions militaires françaises en Afrique, dont la dernière, Barkhane, est en vérité un échec politique lourd de conséquences ? Notre politique reste à mille lieues des exigences populaires dans les pays africains en faveur d’une vraie souveraineté, d’une deuxième indépendance comme ils disent, exigence qu’ils expriment concrètement de plus en plus souvent. Vous ne comblerez pas ce fossé en lançant un média de propagande pour vanter les mérites de la politique française, n’en déplaise à ceux qui, au gouvernement et parmi nos collègues, évoquent abondamment la lutte d’influence pour tout expliquer.

La seule manière de combattre efficacement les fake news et les propagandes hostiles, est la mise en cohérence entre les paroles et les actes de la politique française en Afrique.

Si nous écoutions vraiment les jeunesses africaines si la France changeait réellement de politique pour respecter la soif de liberté et de souveraineté, de développement choisi, alors nous aurions tous à y gagner, ici et là-bas. Car l’agenda des objectifs d’un développement durable, maîtrisé par les Africains eux-mêmes, est la clé d’un véritable avenir de paix et de justice sur lequel refonder nos relations.

D’abord, l’Afrique a besoin de financements massifs et de création monétaire. La France doit cesser sa mise sous dépendance de la zone du français CFA, mais plus, elle doit agir au plan international pour changer radicalement les règles d’attribution des DTS du FMI. Au-delà d’une nouvelle distribution des DTS non utilisés par les pays riches, qui se fait actuellement au compte-gouttes, et c’est nouveau, une réforme des conditions d’émission des DTS devrait favoriser les critères de lutte contre la pauvreté et le financement à grande échelle de la transition économique et écologique du continent africain. Nous pourrions ainsi aider ces pays réellement, comme nous l’avons à plusieurs reprises, proposé. Soyons attentifs, je constate que les BRICS ne restent pas inertes pour répondre à ce besoin. Et si nous continuons comme nous le faisons, nous passerons une fois de plus à côté des besoins d’aujourd’hui dans le domaine fiscal.

Nous constatons que si les recettes fiscales représentent en moyenne 34% du PIB dans les pays de l’OCDE, elles sont deux fois moins importantes dans les pays en développement, notamment en Afrique. Ce n’est pas dû au hasard. Les pays africains ont besoin de nouvelles recettes fiscales, et nous devrions y consacrer des efforts, en cohérence avec la réalisation des objectifs contenus dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels que nous avons ratifié. Et c’est au nom des propositions de ce pacte que nous renouvelons notre proposition de flécher au moins 10% de l’APD vers le soutien au renforcement des systèmes fiscaux de ces pays, pour leur donner des moyens budgétaires de développement et de financement endogènes.

J’entends souvent dire ici « l’Afrique est notre avenir », mais elle est d’abord l’avenir des Africains. Et c’est par là que tout doit commencer, et qu’avec eux, partenaires enfin respectés, nous devrons surmonter les défis communs en matière sociale, climatique et environnementale. La France pourrait ainsi passer d’une politique de conquête abrupte inopérante de parts de marché à trop court terme, une politique de VRP, de ventes d’armes et de systèmes de sécurité, une politique de stigmatisation hypocrite des migrations, alors que ce sont les politiques que nous développons qui les provoquent à une autre logique de rapports mutuellement avantageux, de coopérations repensées en appui des choix endogènes de développement de ces pays.

Nous devrions encourager une industrialisation indispensable pour ces pays. Nous devrions ré-encourager une agroécologie vivrière qui a largement fait ses preuves, y compris au Sahel, plutôt que de soumettre les pays africains à des accords commerciaux qui déstructurent leurs filières agricoles et de pêche.

Enfin, si nous comprenons l’impasse de nos aventures militaires à répétition, nous devrions prendre un tournant concernant les bases militaires permanentes, en allant le plus rapidement possible vers leur suppression. Soyons lucides et honnêtes. L’exercice par la France de ce pan important de la souveraineté des pays africains a produit globalement des résultats très médiocres. Dire cela n’est pas renoncer à toute coopération militaire avec les pays précités, mais c’est accepter le refus des pays africains d’être dans une relation exclusive et dépendante en matière militaire comme dans tous les autres domaines. Il faut accepter qu’il y ait une pluralité de partenaires stratégiques. A défaut, nous précipiterons une évolution que nous dénoncerons peut-être avec véhémence.

Oui, Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, c’est dans tous les domaines qu’il faut changer de logiciel en Afrique. J’y suis allé un peu à la serpe, je le reconnais. Mais je conclus pour dire qu’il faudra résolument aller vers ce changement de logiciel. C’est ce que nous ne cessons de proposer et c’est ce que ne cesseront désormais de nous rappeler les peuples africains. Merci.

 

Seul le prononcé fait foi

Mon intervention au Sénat sur la proposition de résolution reconnaissant le génocide ukrainien de 1932-1933

Il y a 5 mois, le 17 mai 2023

Par Pierre Laurent

Ce 17 mai au Sénat, nous débattions d’une proposition de résolution présentée par Mme Joëlle Garriaud-Maylam (LR), visant à appliquer le qualificatif de génocide aux famines meurtrières de 1932-1933 en Ukraine. À travers l’intervention ci-dessous, j’ai pu porter la position des sénatrices et sénateurs CRCE sur cette question.

GARDONS LE CONTACT

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Mes chers collègues,

A la fin des années 20, Staline rompt avec la nouvelle politique économique établie en 1921 dans la nouvelle Union soviétique. Il décide alors d’engager une collectivisation forcée des terres agricoles à un rythme effréné et avec une brutalité inouïe.

Cette décision va désorganiser durablement et en profondeur les récoltes et la paysannerie au seul profit de la constitution d’une industrie lourde.

Le coût humain en fut terrible dans toute l’Union soviétique, en particulier dans les années 1932-1933 où, après deux terribles récoltes en 31 et 32, les quotas imposés et prélevés par l’État ne furent corrigés qu’à la marge, engendrant des famines historiques.

Dans sa quête fanatique de ses objectifs économiques, le pouvoir stalinien et ses relais locaux iront jusqu’à établir des blocus afin que les agriculteurs ne désertent pas les terres, tout particulièrement en Ukraine. Ce sont des millions de citoyens soviétiques, ukrainiens, mais aussi kazakhs et russes qui en furent victimes. L’Ukraine fut particulièrement frappée.

Selon l’historien ukrainien de référence Stanislas Kulchitskii, ce sont 3 à 3 millions et demi de personnes en Ukraine qui décèdent suite à cette famille. Dans une étude de démographes ukrainiens de 2008, le nombre de morts excédentaires en Ukraine pour la période de 1926 à 1939 était de 3 millions et demi, dont la plupart durant les famines du début des années 30.

Ces famines de l’ère soviétique produisirent davantage de victimes que la grande famine russe de 1891 1892. Les famines résultant de la guerre mondiale et de la guerre civile avaient fait des millions de morts. C’est d’ailleurs notamment pour conjurer ces famines que la NEP avait été établie en 1921.

Avant l’ouverture des archives de l’URSS. la théorie intentionnaliste selon laquelle Staline avait consciemment tué par la faim les paysans ukrainiens parce qu’ukrainiens, était répandue. Depuis le début des années 2000, le travail des chercheurs a rouvert le débat. Roland Davies, Stephen Wheatcroft, Mark Tauger et Hiroaki Kuromiya, qui ont travaillé sur les archives, et les correspondants des dirigeants de l’époque, mettent en cause cette thèse de qualification de génocide. En 2022, lors de l’examen du débat sur une résolution traitant elle aussi de l’Holodomor le Parlement belge a sollicité l’avis d’historiens qui ont considéré ce terme inapproprié pour désigner ces famines.

L’historien français Nicolas Werth, qui lui admet le terme de génocide, expose dans une tribune récente au Monde l’objet et l’existence de ces débats d’historiens. La qualification de génocide continue donc de faire débat. Ce débat n’atténue pour nous en rien ni l’ampleur des crimes commis contre la paysannerie de l’époque, ni la terrible responsabilité du pouvoir stalinien dans ce drame abominable d’autant que s’y ajoutait une cruelle répression envers ceux qui étaient considérés comme des opposants, qui décima également massivement les rangs des communistes. La dénonciation de ces crimes staliniens est pour nous irrémédiable. d’autant que, face à l’ampleur de la famine, effrayée de montrer la réalité, Staline mit sous scellés les informations la révélant, empêchant toute solidarité nationale ou internationale, aggravant considérablement ses effets.

 

Les sénateurs communistes tiennent par ailleurs à interroger l’intention politique de cette résolution. Nous avons voté la dénonciation du crime de déportation d’enfants ukrainiens il y a quelques jours.

Nous n’avons pas, chère rapportrice, la main qui tremble. J’imagine que les auteurs de cette résolution souhaitent, à travers son adoption, apporter une marque de soutien à l’Ukraine. Et, je l’espère, à la perspective d’une paix civile retrouvée à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières ukrainiennes retrouvées.

Or, il est frappant de constater que la guerre des récits nationaux est depuis dix ans au cœur du conflit. Poutine ne cesse de réécrire l’histoire pour justifier sa croisade criminelle au nom d’une prétendue dénazification.

En Ukraine, des responsables nationalistes réhabilitent Stepan Bandera en effaçant les épisodes peu glorieux de son histoire, comme si la guerre d’aujourd’hui était condamnée à répéter les crimes du passé. 30 ans après, la chute de l’Union soviétique continue de réveiller des frontières non seulement physiques, mais historiques, culturelles, politiques et mémorielles qui nourrissent les conflits d’aujourd’hui et que la construction d’une Ukraine en paix dans ses frontières étatiques retrouvées devra dépasser pour faire vivre ensemble l’entièreté de sa population. Est-ce notre responsabilité d’alimenter au cœur de la guerre actuelle ces conflits mémoriels est les haines qu’ils alimentent.

Cette résolution nous semble donc relever moins d’une reconnaissance historique et d’une compassion légitime à l’égard des victimes de la famine, qu’au souci d’alimenter le récit de justification de l’amplification de l’effort de guerre réclamé par les dirigeants ukrainiens au détriment de la recherche d’une reconstruction de la paix.

Pour toutes ces raisons, et aussi pour exprimer plus généralement notre malaise face à l’inflation parfois inappropriée du qualificatif de génocide qui par définition est exceptionnel dans le cadre de résolutions parlementaires, le groupe CRCE votera contre cette résolution.

 

Seul le prononcé fait foi

Tribune dans Le Monde : « Voter 413 milliards de crédits militaires sans avoir de débats avec le pays, ce ne serait pas sérieux »

Il y a 5 mois, le 16 mai 2023

Par Pierre Laurent

Alors que s’ouvre en France la discussion sur la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, j’ai fait le choix de m’exprimer aujourd’hui dans les colonnes du Monde, avec cinq de mes collègues parlementaires, membres des groupes GDR de l’Assemblée et CRCE du Sénat. Dans cette tribune, nous exposons les questions structurantes liées à notre politique de défense, qui devraient faire l’objet d’un grand débat public et démocratique avec les Français·es !

GARDONS LE CONTACT

« Le gouvernement a présenté le 4 avril une loi de programmation militaire d’un montant exceptionnel de 413 milliards d’euros. Son inscription au Parlement n’est précédée d’aucun débat stratégique, d’aucun Livre Blanc. Sa justification est martelée sans contradiction : la guerre est revenue, le monde se surarme, la France doit suivre le mouvement pour « tenir son rang ».

Une telle loi nous engage pour des décennies. Elle repose sur une vision du monde et du rôle qu’entend y jouer la France, sur une conception de la Défense nationale et de nos alliances, sur des coopérations et programmes industriels d’ampleur.

La trajectoire budgétaire proposée ferait passer le budget de la Défense de 43,9 milliards en 2023 à 69 milliards en 2030. Le Haut Conseil des Finances Publiques souligne la lourde contrainte que cela fera peser sur les autres budgets de l’État.

Pour nous, de tels choix ne peuvent être actés sans grand débat national. En pleine crise démocratique, nous ne pouvons nous contenter de discussions expéditives, tenant à distance les Français.  Plusieurs questions doivent être ouvertes au débat public.

Réévaluer notre vision stratégique de l’état du monde. De l’Afghanistan jusqu’au Sahel, et aujourd’hui l’Ukraine, toutes les guerres récentes montrent l’échec des solutions militaires. La sécurité du monde appelle d’autres choix. Santé, alimentation, social, énergie, climat… Nous avons besoin d’une approche globale des insécurités mondiales. Le développement à l’heure de la transition écologique, les nouvelles interdépendances, l’émergence politique d’un Sud refusant les dominations d’hier exigent une vision renouvelée de nos partenariats mondiaux, loin de l’enfermement dans l’alliance militaire occidentale qu’est l’OTAN.

Rompre notre dépendance aux opérations militaires extérieures. Les « OPEX », ces coûteuses expéditions néocoloniales, se sont multipliées depuis 20 ans avec des résultats calamiteux. Après le fiasco de Barkhane au Sahel, il est temps d’abandonner le modèle d’une armée de projection extérieure, bâtie au détriment des missions de protection du territoire national. Cela implique des révisions structurantes. A quoi sert un nouveau porte-avions ? A quoi servent nos bases permanentes en Afrique ou au Moyen-Orient ?

Reconstruire une Défense Opérationnelle du Territoire digne de ce nom. Défense du territoire et lien à la Nation sont les grands oubliés de la professionnalisation de nos armées tournées vers la projection extérieure. Ni le SNU envisagé, ni le doublement hypothétique de la Réserve opérationnelle ne sont la réponse. La France a besoin d’un débat pour une conception citoyenne renouvelée de nos capacités de défense territoriale, aux missions diversifiées, activables en cas de menace majeure. Cette révision doit prendre en compte les besoins spécifiques de protection des départements, régions et collectivités d’outre-mer et de leurs zones économiques exclusives.

Interroger le concept d’armée complète pour la haute intensité. Sans avoir été vraiment discuté, ce concept se voit consacré par la LPM. Nous préparons la guerre, dit le Président de la République. Mais où, contre qui et quelles menaces ? S’agit-il de mieux défendre notre territoire et de concevoir notre modèle d’armée en conséquence, ou s’agit-il plutôt de renforcer la capacité de nos armées à prendre part aux opérations militaires de l’Otan, en acceptant le pilotage de la définition des menaces par les États-Unis ?

Rouvrir le débat national sur la dissuasion nucléaire. Dans la nouvelle LPM, 54 milliards d’euros seraient fléchés vers la modernisation de notre force de dissuasion. C’est une somme considérable, investie dans une technologie capable d’anéantir la vie humaine, et ce alors que la doctrine française de non-emploi est questionnée par l’escalade mondiale actuelle. Les tensions internationales appellent à réévaluer notre politique de dissuasion, en lien avec le respect de nos engagements internationaux dont l’article 6 du Traité de Non-Prolifération (TNP) visant au désarmement nucléaire multilatéral. Pourquoi refuser la nécessité pour la France d’accéder au statut de membre observateur du Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires (TIAN) ?

Repenser nos industries d’armement. Le président de la République abuse de la formule « économie de guerre ». Nos industries de défense sont en vérité dans un état très contradictoire : de grandes capacités technologiques cohabitent avec de graves lacunes à couvrir les besoins de nos armées. Nos industriels sont tournés vers l’exportation. Troisième marchand d’armes au monde, la France est doublement dépendante, de ses clients (dont les riches dictatures du Golfe), et des États-Unis pour la fourniture de composants et de renseignement. Pour une conduite souveraine de notre défense, nous devons repenser la gouvernance et le modèle économique de nos industries d’armement.

Reprendre l’initiative pour la paix. Avec la LPM, Emmanuel Macron parle d’avoir « une guerre d’avance », mais ne risquons-nous pas d’avoir toujours « une paix de retard » ? La diplomatie française doit être replacée au premier plan, au service de la désescalade, de la paix, du désarmement, et d’une approche multidimensionnelle des enjeux de sécurité et de développement. En Ukraine, en Afrique, au Moyen-Orient, que faisons-nous pour reconstruire des chemins durables pour la paix ? Reprendrons-nous enfin l’initiative contre la militarisation et le surarmement actuel ?

Voter 413 milliards de crédits militaires sans avoir ces débats avec le pays ne serait pas sérieux. Menons partout ces débats au grand jour, sans tabous ni interdits ! Nos choix de Défense ont besoin de redevenir l’affaire des citoyens. »

 

Signataires : « Steve Chailloux, député (Tavini huiraatira) de Polynésie, membre de la commission de la défense de l’Assemblée nationale ; Michelle Gréaume, sénatrice (PC) du Nord, membre de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat ; Pierre Laurent, sénateur (PC) de Paris, vice-président de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat ; Jean-Paul Lecoq, député (PC) de Seine-Maritime, vice-président de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale ; Tematai Le Gayic, député (Tavini huiraatira) de Polynésie, membre de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale ; Fabien Roussel, député (PC) du Nord, membre de la Commission de la Défense de l’Assemblée nationale. »

 

Une tribune parue dans Le Monde, le 16 mai 2022 : https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/05/16/defense-voter-413-milliards-de-credits-militaires-sans-avoir-de-debats-avec-le-pays-ce-ne-serait-pas-serieux_6173573_3232.html

Évacuation du Soudan des ressortissants étrangers et rôle des entreprises de sécurité privée

Il y a 5 mois, le 3 mai 2023

Par Pierre Laurent

M. Pierre Laurent attire l’attention de Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères sur l’évacuation du Soudan des ressortissants étrangers en général ainsi que des Français et des ressortissants de l’Union européenne (UE), en particulier. Les opérations d’évacuation des ressortissants se fondent sur les devoirs de protection des États vis-à-vis de leurs citoyens. […]

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M. Pierre Laurent attire l’attention de Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères sur l’évacuation du Soudan des ressortissants étrangers en général ainsi que des Français et des ressortissants de l’Union européenne (UE), en particulier. Les opérations d’évacuation des ressortissants se fondent sur les devoirs de protection des États vis-à-vis de leurs citoyens.

Au Soudan la situation s’est dramatiquement dégradée avec des centaines de morts et des milliers de blessées résultant d’un conflit entre factions militaires. Ce conflit est très dommageable pour l’évolution démocratique de ce grand pays d’Afrique. L’opération « Sagittaire » y a été déclenchée par la France. Celle-ci a utilisé des moyens humains et matériels de la base militaire française à Djibouti pour évacuer 538 personnes de 40 nationalités dont 209 Français.

Nonobstant le fait que les opérations d’évacuation de ressortissants sont par nature étatiques, le journal Ouest-France du 24 avril 2023 révèle que des entreprises militaires et de sécurité privées (EMSP) dirigés par des Français comme Comya Group, Algiz Security et Lafayette Praetorian sont également à l’œuvre au Soudan pour participer à l’évacuation de clients de leurs prestations. Ces EMSP sont spécialisées dans la sécurité rapprochée et les services de protection privée pour les entreprises. Il est à noter vient que selon cet article Comya Group vient de renforcer son équipe en envoyant deux anciens officiers de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) pour superviser les opérations d’évacuation demandées par des clients privés. Il est également à noter que l’autre société évoquée dans l’article, Algiz Security a été fondée en 2015 par un ancien légionnaire et « a déployé ses équipes en Ukraine lors du début de la guerre, d’Odessa à Marioupol, en passant par le Donbass. »

Tout cela reflète le fait que depuis la fin de la guerre froide le recours aux EMSP a explosé. Tout cela reflète aussi que face à la dégradation importante des relations internationales le recours et l’opportunité du recours aux EMSP apparaissent de plus en plus problématiques notamment du fait qu’il s’agit d’une privatisation de missions habituellement propres à l’État comme les évacuations de ressortissants par exemple. Il l’avait souligné lors de sa question écrite n°00036 du 7 juillet 2022. La ministre de l’Europe et des affaires étrangères dans sa réponse du 20 octobre 2022 lui avait assuré notamment que « les entreprises de sécurité privées françaises ne peuvent être autorisées à assurer des missions régaliennes. »

Compte tenu de tous ces éléments, il lui demande si l’action évoquée plus haut des EMSP précitées n’est pas en contradiction avec l’esprit et la lettre de la doctrine des opérations d’évacuation des ressortissants et avec la réponse à la question écrite n° 00036. Il lui demande combien de ressortissants français et de ressortissants de l’UE résidant au Soudan ont été concernés par des actions d’EMSP, dont celles précitées. Il lui demande enfin quelles sont les missions de ces EMSP au Soudan et quelles sont leurs interactions avec l’État français.

 

Question écrite n°06625 : https://senateurscrce.fr/activite-des-senateurs/les-questions-au-gouvernement/les-questions-ecrites/article/les-entreprises-de-securite-privees-ne-devraient-pas-etre-autorisees-a-assurer

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