Monsieur le Président,
Madame la Première Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mes chers collègues,
Le 24 février Vladimir Poutine ordonnait l’invasion illégale de l’Ukraine par l’armée russe, violant le droit international et l’intégrité d’un État souverain. Il déclenchait un conflit d’une ampleur inédite depuis 1945, qui appelle notre solidarité auprès du peuple ukrainien.
Illégale, et terriblement meurtrière, cette guerre ne connaît depuis février que l’escalade. Elle menace aujourd’hui la sécurité internationale.
Cette guerre c’est à ce jour selon le HCR, 8 millions d’Ukrainiens réfugiés à l’extérieur de l’Ukraine, des millions de déplacés intérieurs, plus de 15 000 victimes civiles, tuées ou blessées, ce sont des dizaines de milliers de morts au combat, ukrainiens et russes, ce sont des crimes de guerre. Et c’est la répression des dissidents et des conscrits en fuite. La jeunesse des deux pays est chaque jour fauchée dans les combats.
La guerre, c’est l’effondrement de moitié du PIB ukrainien, la destruction du tiers des infrastructures énergétiques. Le Premier ministre ukrainien annonce déjà qu’en l’état le coût de la reconstruction se chiffrera en centaines de milliards de dollars.
La guerre, c’est l’aggravation de la crise économique et énergétique partout sur la planète, frappant d’abord les plus faibles. C’est le spectre de la famine, comme en Somalie où le manque de nourriture tuera aussi sûrement et même plus que les bombes.
Cette guerre, c’est l’engloutissement quotidien de ressources considérables qui manquent tant aujourd’hui pour répondre aux défis du développement humain et du changement climatique. C’est l’aggravation catastrophique des émissions de gaz à effet de serre, qui bat en brèche tous les objectifs climatiques. La nouvelle dépendance de l’Europe au GNL américain, 2,5 fois plus émetteur de CO2 que le gaz naturel, en est un exemple frappant.
La guerre, c’est l’embrasement possible à tout instant en Moldavie, en Géorgie, et déjà à l’œuvre en Arménie avec l’attaque azérie. Ce sont tous les points de tension du globe ravivés, le spectre d’un nouveau conflit mondial, le retour de la menace de l’annihilation nucléaire.
Moscou réinterprète dangereusement la grammaire de sa dissuasion. Et la surenchère peut mener, de manière irresponsable, à l’éventualité d’un conflit nucléaire. Ces faits alarmants devraient d’ailleurs inviter à relancer, de la manière la plus vigoureuse qui soit, les discussions sur le désarmement multilatéral et un régime mondial d’interdiction des armes nucléaires.
La guerre entre la Russie et l’Ukraine, et derrière elle les forces de l’OTAN, est un terrible engrenage dont nous aurons, nous le savons, beaucoup de mal à sortir.
Faut-il dès lors se résigner à l’escalade ? Sauf à accepter de voir s’amplifier la catastrophe en cours pour des semaines, des mois, et peut-être des années encore, nous pensons, Madame la Première Ministre, qu’il faut avoir le courage de ne pas abandonner l’exigence d’un cessez-le-feu le plus rapide possible sur le front.
Dire cela est-ce céder aux Russes, comme on l’entend dire, comme s’il s’agissait d’accepter de geler la situation sur la ligne de front actuelle ? Bien sûr que non ! Dire cela, c’est demander que dans la guerre, la voie de la paix et de la diplomatie ne s’éteigne pas, et qu’elle reprenne la main au plus vite, sans accepter le terrible prix humain d’une amplification de cette guerre ; une guerre à l’heure qui l’est sans perspective de fin, et probablement sans vainqueur parmi les peuples.
Nous voulons le retour de la diplomatie pour tracer le chemin d’une négociation globale récusant le changement de frontières et l’acquisition des territoires par la force, demandant le retrait des troupes russes, rouvrant le dialogue sur l’autodétermination, la garantie de souveraineté et de sécurité pour tous les peuples.
A ceux qui préconisent la guerre, et donc aujourd’hui forcément son escalade, avec toutes ses conséquences imprévisibles, en faisant miroiter sa fin prochaine, je demande de me dire dans quel pays la guerre a ces trente dernières années apporté la solution et la paix promise : en Afghanistan ? En Irak ? En Syrie ? En Libye ? Au Yémen ? Au Sahel ? Tous ces pays sont en ruines et en proie aux violences. Et pourtant les ennemis étaient tout aussi condamnables. Non la voie de la diplomatie pour la paix n’est pas celle de la reddition. Elle peut être celle de l’espoir, celle qui épargne aux peuples la misère, la destruction et la barbarie.
Nous livrons des armes à l’Ukraine, et malgré nos demandes répétées le Parlement ne dispose pas à ce jour de toutes les informations, ni sur ce que nous livrons, ni sur les incidences de ces livraisons sur nos propres capacités de défense. Qui peut dénier, tant que la guerre dure, à un Etat agressé comme l’Ukraine le droit de se défendre et de faire appel pour cela à ses alliés ? Personne. Mais qui peut assurer que ces livraisons, même massives, ouvriront la voie à la solution militaire du conflit en cours ? Alors quelles que soient les décisions prises à ce propos, rien ne doit nous détourner d’un effort immédiat pour retrouver la voie de la paix par la négociation internationale et entre les deux parties du conflit.
Le président de la République a eu raison, le 12 octobre sur France 2 puis ce dimanche en Italie, de remettre dans le débat cette perspective de la paix et du retour à la table des négociations, mais il semble dans le même mouvement en repousser toujours l’échéance.
Nous pensons que la France, avec d’autres, doit y travailler sans tarder. Que pensez-vous madame la Première Ministre de la proposition d’un ancien ambassadeur de France hier dans un grand journal du soir, d’engager sans tarder entre Ukrainiens et alliés une discussion sur ce que devrait être un calendrier et une position de négociation ?
Que pensez-vous des voix qui s’élèvent, dans une tribune d’anciens diplomates italiens, s’exprimant sur les bases possibles d’un règlement négocié, ou dans la lettre adressée par 35 démocrates de la Chambre des Représentants à Joe Biden pour l’enjoindre de « déployer de vigoureux efforts diplomatiques en soutien à un règlement négocié » ? Que pensez-vous des déclarations du pape François, que le président de la République vient de rencontrer, et qui n’a cessé d’appeler à ce que les armes se taisent depuis le début du conflit ?
Pour avancer dans ce sens, parce que nous savons que le chemin est rempli d’obstacles, nous pouvons travailler à conforter tous les accords partiels déjà négociés pour élargir les brèches.
Je pense à l’accord sur les exportations de céréales, qui arrive à échéance le 22 novembre : travaillons-nous à sa reconduction ?
Est-il également possible d’agir pour conforter l’accord sur la sécurisation des centrales nucléaires en lien avec l’ONU et l’AIEA ?
Comment agir encore pour permettre l’action des organisations humanitaires, alors que le droit international humanitaire est aujourd’hui partout bafoué. Comment assurer la protection des installations civiles indispensables aux populations ?
La priorité est également de prévenir l’extension du conflit aux pays frontaliers. Un engagement réciproque des parties prenantes, doublé d’un engagement multilatéral à ne pas impliquer de nouveaux pays frontaliers dans la guerre pourrait être un objectif.
Au-delà, l’objectif doit bien être celui de rouvrir une négociation globale de sécurité, sous l’égide de l’OSCE.
Madame la Première Ministre, pour toutes ces raisons nous pensons que la France devrait entamer la construction d’une grande coalition mondiale pour la paix, qui ne peut être enfermée dans le seul bloc de l’OTAN ! La logique des blocs, d’ailleurs, fait partie du problème, qui nous voit sans barguigner classer la Turquie, l’Arabie Saoudite et des gouvernements d’extrême-droite européens dans le camp de la démocratie.
De nombreux pays, qui refusent l’alignement derrière la Russie, mais aussi derrière l’OTAN, souhaitent une telle coalition de la paix, qui se donne pour but la construction commune de la paix, par la construction de sécurités collectives et de sécurité humaine, alimentaire, sanitaire, énergétique, climatique… partagées.
La France devrait en prendre l’initiative. Nous devons pour cela parler à des grands pays comme l’Inde ou comme la Chine, sans les jeter dans les bras des Russes comme certains le font, à des pays plus modestes comme en Asie centrale, comme le Kirghizstan, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, qui sont intervenus à plusieurs reprises pour critiquer la guerre. Nous devons parler à des pays africains, menacés par les conséquences de la guerre, et qui veulent un ordre mondial plus juste et plus solidaire, sans avoir à choisir entre deux systèmes de domination.
Pour constituer cette grande coalition, la France doit reprendre sa liberté d’initiative pour assumer pleinement, en Europe et dans le monde, son rôle au service de la paix.
Je vous remercie.