#LAÏCITE

Tribune dans Le Monde : « Voter 413 milliards de crédits militaires sans avoir de débats avec le pays, ce ne serait pas sérieux »

Il y a 7 mois, le 16 mai 2023

Par Pierre Laurent

Alors que s’ouvre en France la discussion sur la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, j’ai fait le choix de m’exprimer aujourd’hui dans les colonnes du Monde, avec cinq de mes collègues parlementaires, membres des groupes GDR de l’Assemblée et CRCE du Sénat. Dans cette tribune, nous exposons les questions structurantes liées à notre politique de défense, qui devraient faire l’objet d’un grand débat public et démocratique avec les Français·es !

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« Le gouvernement a présenté le 4 avril une loi de programmation militaire d’un montant exceptionnel de 413 milliards d’euros. Son inscription au Parlement n’est précédée d’aucun débat stratégique, d’aucun Livre Blanc. Sa justification est martelée sans contradiction : la guerre est revenue, le monde se surarme, la France doit suivre le mouvement pour « tenir son rang ».

Une telle loi nous engage pour des décennies. Elle repose sur une vision du monde et du rôle qu’entend y jouer la France, sur une conception de la Défense nationale et de nos alliances, sur des coopérations et programmes industriels d’ampleur.

La trajectoire budgétaire proposée ferait passer le budget de la Défense de 43,9 milliards en 2023 à 69 milliards en 2030. Le Haut Conseil des Finances Publiques souligne la lourde contrainte que cela fera peser sur les autres budgets de l’État.

Pour nous, de tels choix ne peuvent être actés sans grand débat national. En pleine crise démocratique, nous ne pouvons nous contenter de discussions expéditives, tenant à distance les Français.  Plusieurs questions doivent être ouvertes au débat public.

Réévaluer notre vision stratégique de l’état du monde. De l’Afghanistan jusqu’au Sahel, et aujourd’hui l’Ukraine, toutes les guerres récentes montrent l’échec des solutions militaires. La sécurité du monde appelle d’autres choix. Santé, alimentation, social, énergie, climat… Nous avons besoin d’une approche globale des insécurités mondiales. Le développement à l’heure de la transition écologique, les nouvelles interdépendances, l’émergence politique d’un Sud refusant les dominations d’hier exigent une vision renouvelée de nos partenariats mondiaux, loin de l’enfermement dans l’alliance militaire occidentale qu’est l’OTAN.

Rompre notre dépendance aux opérations militaires extérieures. Les « OPEX », ces coûteuses expéditions néocoloniales, se sont multipliées depuis 20 ans avec des résultats calamiteux. Après le fiasco de Barkhane au Sahel, il est temps d’abandonner le modèle d’une armée de projection extérieure, bâtie au détriment des missions de protection du territoire national. Cela implique des révisions structurantes. A quoi sert un nouveau porte-avions ? A quoi servent nos bases permanentes en Afrique ou au Moyen-Orient ?

Reconstruire une Défense Opérationnelle du Territoire digne de ce nom. Défense du territoire et lien à la Nation sont les grands oubliés de la professionnalisation de nos armées tournées vers la projection extérieure. Ni le SNU envisagé, ni le doublement hypothétique de la Réserve opérationnelle ne sont la réponse. La France a besoin d’un débat pour une conception citoyenne renouvelée de nos capacités de défense territoriale, aux missions diversifiées, activables en cas de menace majeure. Cette révision doit prendre en compte les besoins spécifiques de protection des départements, régions et collectivités d’outre-mer et de leurs zones économiques exclusives.

Interroger le concept d’armée complète pour la haute intensité. Sans avoir été vraiment discuté, ce concept se voit consacré par la LPM. Nous préparons la guerre, dit le Président de la République. Mais où, contre qui et quelles menaces ? S’agit-il de mieux défendre notre territoire et de concevoir notre modèle d’armée en conséquence, ou s’agit-il plutôt de renforcer la capacité de nos armées à prendre part aux opérations militaires de l’Otan, en acceptant le pilotage de la définition des menaces par les États-Unis ?

Rouvrir le débat national sur la dissuasion nucléaire. Dans la nouvelle LPM, 54 milliards d’euros seraient fléchés vers la modernisation de notre force de dissuasion. C’est une somme considérable, investie dans une technologie capable d’anéantir la vie humaine, et ce alors que la doctrine française de non-emploi est questionnée par l’escalade mondiale actuelle. Les tensions internationales appellent à réévaluer notre politique de dissuasion, en lien avec le respect de nos engagements internationaux dont l’article 6 du Traité de Non-Prolifération (TNP) visant au désarmement nucléaire multilatéral. Pourquoi refuser la nécessité pour la France d’accéder au statut de membre observateur du Traité d’Interdiction des Armes Nucléaires (TIAN) ?

Repenser nos industries d’armement. Le président de la République abuse de la formule « économie de guerre ». Nos industries de défense sont en vérité dans un état très contradictoire : de grandes capacités technologiques cohabitent avec de graves lacunes à couvrir les besoins de nos armées. Nos industriels sont tournés vers l’exportation. Troisième marchand d’armes au monde, la France est doublement dépendante, de ses clients (dont les riches dictatures du Golfe), et des États-Unis pour la fourniture de composants et de renseignement. Pour une conduite souveraine de notre défense, nous devons repenser la gouvernance et le modèle économique de nos industries d’armement.

Reprendre l’initiative pour la paix. Avec la LPM, Emmanuel Macron parle d’avoir « une guerre d’avance », mais ne risquons-nous pas d’avoir toujours « une paix de retard » ? La diplomatie française doit être replacée au premier plan, au service de la désescalade, de la paix, du désarmement, et d’une approche multidimensionnelle des enjeux de sécurité et de développement. En Ukraine, en Afrique, au Moyen-Orient, que faisons-nous pour reconstruire des chemins durables pour la paix ? Reprendrons-nous enfin l’initiative contre la militarisation et le surarmement actuel ?

Voter 413 milliards de crédits militaires sans avoir ces débats avec le pays ne serait pas sérieux. Menons partout ces débats au grand jour, sans tabous ni interdits ! Nos choix de Défense ont besoin de redevenir l’affaire des citoyens. »

 

Signataires : « Steve Chailloux, député (Tavini huiraatira) de Polynésie, membre de la commission de la défense de l’Assemblée nationale ; Michelle Gréaume, sénatrice (PC) du Nord, membre de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat ; Pierre Laurent, sénateur (PC) de Paris, vice-président de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat ; Jean-Paul Lecoq, député (PC) de Seine-Maritime, vice-président de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale ; Tematai Le Gayic, député (Tavini huiraatira) de Polynésie, membre de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale ; Fabien Roussel, député (PC) du Nord, membre de la Commission de la Défense de l’Assemblée nationale. »

 

Une tribune parue dans Le Monde, le 16 mai 2022 : https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/05/16/defense-voter-413-milliards-de-credits-militaires-sans-avoir-de-debats-avec-le-pays-ce-ne-serait-pas-serieux_6173573_3232.html

Hommage à Samuel Paty – 16 octobre 2022

Il y a 1 an, le 17 octobre 2022

Par Pierre Laurent

Le matin du dimanche 16 octobre à Paris, je participais au nom du Parti Communiste Français et de ses parlementaires à l’hommage solennel rendu à Samuel Paty par les forces de la NUPES. Voici l’allocution que j’y ai prononcée.

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Hommage à Samuel Paty – 16 octobre 2022 – Allocution de Pierre Laurent

L’hommage que nous rendons aujourd’hui à Samuel Paty, deux ans jour pour jour après son lâche assassinat, après ceux rendus ces jours-ci dans des centaines d’établissements scolaires et ici même à la Sorbonne par l’association nationale des professeurs d’histoire-géographie en présence du ministre de l’Éducation nationale Pap N’diaye, est l’hommage que nous devons à un homme qui faisait tout simplement son métier, éduquer, et participait ainsi à l’inlassable combat mené dans la République pour la liberté et l’égalité.

La liberté, l’égalité, le savoir partagé, c’est ce que visait le bras d’un jeune fanatique armé par l’obscurantisme islamiste quand il a tué Samuel Paty à la sortie de son collège.

« Enseigner, c’est expliquer et non se taire », a déclaré hier Michaëlle Paty, la sœur de l’enseignant. Oui, deux ans après il ne faut toujours pas se taire, et dire haut et fort, en rendant hommage à Samuel Paty, notre soutien plein et entier aux enseignants de notre pays, notre soutien à l’école de la République, qui ont tant besoin de moyens et de respect pour leur métier.

Dire haut et fort aux enfants de notre pays qu’ils sont libres d’apprendre, et qu’ils et elles seront ainsi des femmes et des hommes libres.

Dire haut et fort que notre hommage va droit à toutes les femmes et hommes qui, ici et dans le monde, sont les victimes d’interdits archaïques, religieux et non-religieux, d’oppressions inacceptables.

L’éducation est partout dans le monde au cœur de ce combat. Je n’oublie pas le sens que les collègues et amis de Samuel Paty ont donné, ici il y a deux ans dans la cour de la Sorbonne, à l’hommage national à leur ami, auquel j’assistais. En lisant la lettre aux instituteurs de Jean Jaurès, ils ont rappelé la force du savoir et de la transmission, et la confiance qu’il convient d’avoir dans l’intelligence humaine. « Si vous ne voulez pas fabriquer simplement des machines à épeler » écrivait Jaurès, n’oubliez pas que les enfants « seront citoyens et qu’ils doivent savoir ce qu’est une démocratie libre, quels droits leur confère, quels devoirs leur impose la souveraineté de la Nation ».

C’est ce libre choix, cette éducation à la libre conscience que Samuel Paty a injustement payé de sa vie, comme avant lui l’équipe de Charlie ou les victimes du Bataclan, comme tant d’autres aujourd’hui dans le monde.

La liberté de conscience, philosophique, politique, religieuse pour chacune et chacun, pour garantir la pleine égalité d’accès aux droits de toutes et tous, voilà les deux piliers indissociables des fondements laïques de notre République. La laïcité est aujourd’hui doublement attaquée, par ceux qui menacent la liberté de conscience, comme par ceux qui en dénaturent le sens pour miner la promesse d’égalité contre toutes les haines et les divisions. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit toujours de rouvrir la voie à la domination d’une partie de la société et de l’humanité sur l’autre.

Nous voulons transmettre les principes de la République pour l’exact inverse : la réalisation pleine et entière de l’Humanité dont Jaurès fixait l’objectif en nommant son journal du même nom. Voilà pourquoi la lutte contre tous les racismes, contre l’antisémitisme, contre les musulmans, contre toutes les haines, la lutte des femmes pour leur totale égalité, la lutte contre toutes les injustices, tous combats aux fondements de la gauche, sont constitutifs du combat de toute la société pour la liberté, l’égalité, la fraternité, et la laïcité qui les garantit.

C’est pour transmettre le savoir qui est le cœur battant de l’égalité que Samuel Paty voulait vivre, et c’est pour cela que nous l’honorons aujourd’hui.

 

Seul le prononcé fait foi