Mon discours au Sénat : « En Afrique, la France doit changer de logiciel ! »

Il y a 4 mois, le 7 juin 2023
Par Pierre Laurent
Mercredi 6 juin, le Gouvernement organisait un débat au Sénat sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution, concernant la politique de la France en Afrique. Je suis intervenu au nom du groupe CRCE, pour appeler à un changement complet de logiciel concernant nos relations avec le continent africain !
Monsieur le Président,
Madame la Ministre, Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
La déclaration du Gouvernement sur la politique de la France en Afrique dont nous débattons ce soir s’inscrit dans la droite ligne du discours du chef de l’État du 27 février dernier. Dans ce discours, le chef de l’État a proclamé que la France doit refuser d’entrer dans une logique de compétition, qu’il faut tourner la page de l’économie de rente, qu’il convient d’entrer dans une logique partenariale d’investissement solidaire.
Mais le problème, c’est que tous les fondamentaux dépassés de nos rapports économiques, qui sapent depuis tant d’années le développement des pays africains, et qui sapent aujourd’hui la confiance dans notre relation à l’Afrique, sont aujourd’hui maintenus au mépris de tous les nouveaux enjeux du XXIᵉ siècle.
Alors que les pays africains cherchent par exemple, le financement de leur développement, nous continuons de faire l’éloge de la pseudo-réforme unilatérale du franc CFA, qui laisse en l’état les instruments de la domination monétaire en vigueur, et n’a constitué en vérité qu’une OPA hostile, visant à tuer dans l’œuf le projet de monnaie ouest-africaine de la CEDEAO. L’Afrique, elle pourtant, continue de parler de retrouver de la souveraineté monétaire. Mais quand j’ai interrogé, dans la foulée de ce débat, le gouvernement sur le stock d’or de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest, qui est toujours détenu à 81 % à la Banque de France, ou sur la publication d’une annexe mentionnée à la convention de garantie entre la Banque centrale de l’Afrique de l’Ouest et la République française, on m’a répondu « circulez, il n’y a rien à voir ».
Nous parlons d’être un partenaire d’avenir du développement de l’Afrique, mais nous ne portons pas le fer contre l’organisation du commerce international, la nature des échanges franco-africains qui l’entrave, les traités de libre échange foncièrement inégaux, le démantèlement des services publics et des embryons d’État social dans ces pays, la course au moins-disant fiscal, le nivellement par le bas de la protection des travailleurs, les politiques de prédation et de maxi-bénéfices des multinationales qui agissent sur place en toute impunité.
Dans le cas de la France, par exemple, si le commerce extérieur en Afrique subsaharienne ne représente qu’environ 2% de notre commerce extérieur, les parts de marché, nous le savons tous, sont concentrées dans les mains de quelques grands groupes qui font des affaires avec un taux de profit indécent, en complicité avec des élites extraverties et corrompues, au détriment de la très grande majorité des Africains. J’ai souvent dénoncé des exemples caricaturaux, comme la surfacturation par des groupes français du train urbain d’Abidjan, ou les profits accumulés par le groupe Bolloré dans les ports ouest-africains, dont il est parti sans égard pour les pays concernés.
Le coût pour les peuples africains du maintien de ces rapports économiques est exorbitant. Il se nomme grande pauvreté, sous-alimentation, maladies endémiques, insécurité, corruption des élites, migrations forcées. Et c’est tout cela dont les jeunesses africaines ne veulent plus ! Quand allons-nous comprendre que le rejet de la politique française trouve ici ses racines profondes, et ne peut être réduit au succès d’influences russes, turques, chinois ou d’autres encore ?
Quand tirerons-nous vraiment les leçons des dizaines d’interventions militaires françaises en Afrique, dont la dernière, Barkhane, est en vérité un échec politique lourd de conséquences ? Notre politique reste à mille lieues des exigences populaires dans les pays africains en faveur d’une vraie souveraineté, d’une deuxième indépendance comme ils disent, exigence qu’ils expriment concrètement de plus en plus souvent. Vous ne comblerez pas ce fossé en lançant un média de propagande pour vanter les mérites de la politique française, n’en déplaise à ceux qui, au gouvernement et parmi nos collègues, évoquent abondamment la lutte d’influence pour tout expliquer.
La seule manière de combattre efficacement les fake news et les propagandes hostiles, est la mise en cohérence entre les paroles et les actes de la politique française en Afrique.
Si nous écoutions vraiment les jeunesses africaines si la France changeait réellement de politique pour respecter la soif de liberté et de souveraineté, de développement choisi, alors nous aurions tous à y gagner, ici et là-bas. Car l’agenda des objectifs d’un développement durable, maîtrisé par les Africains eux-mêmes, est la clé d’un véritable avenir de paix et de justice sur lequel refonder nos relations.
D’abord, l’Afrique a besoin de financements massifs et de création monétaire. La France doit cesser sa mise sous dépendance de la zone du français CFA, mais plus, elle doit agir au plan international pour changer radicalement les règles d’attribution des DTS du FMI. Au-delà d’une nouvelle distribution des DTS non utilisés par les pays riches, qui se fait actuellement au compte-gouttes, et c’est nouveau, une réforme des conditions d’émission des DTS devrait favoriser les critères de lutte contre la pauvreté et le financement à grande échelle de la transition économique et écologique du continent africain. Nous pourrions ainsi aider ces pays réellement, comme nous l’avons à plusieurs reprises, proposé. Soyons attentifs, je constate que les BRICS ne restent pas inertes pour répondre à ce besoin. Et si nous continuons comme nous le faisons, nous passerons une fois de plus à côté des besoins d’aujourd’hui dans le domaine fiscal.
Nous constatons que si les recettes fiscales représentent en moyenne 34% du PIB dans les pays de l’OCDE, elles sont deux fois moins importantes dans les pays en développement, notamment en Afrique. Ce n’est pas dû au hasard. Les pays africains ont besoin de nouvelles recettes fiscales, et nous devrions y consacrer des efforts, en cohérence avec la réalisation des objectifs contenus dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels que nous avons ratifié. Et c’est au nom des propositions de ce pacte que nous renouvelons notre proposition de flécher au moins 10% de l’APD vers le soutien au renforcement des systèmes fiscaux de ces pays, pour leur donner des moyens budgétaires de développement et de financement endogènes.
J’entends souvent dire ici « l’Afrique est notre avenir », mais elle est d’abord l’avenir des Africains. Et c’est par là que tout doit commencer, et qu’avec eux, partenaires enfin respectés, nous devrons surmonter les défis communs en matière sociale, climatique et environnementale. La France pourrait ainsi passer d’une politique de conquête abrupte inopérante de parts de marché à trop court terme, une politique de VRP, de ventes d’armes et de systèmes de sécurité, une politique de stigmatisation hypocrite des migrations, alors que ce sont les politiques que nous développons qui les provoquent à une autre logique de rapports mutuellement avantageux, de coopérations repensées en appui des choix endogènes de développement de ces pays.
Nous devrions encourager une industrialisation indispensable pour ces pays. Nous devrions ré-encourager une agroécologie vivrière qui a largement fait ses preuves, y compris au Sahel, plutôt que de soumettre les pays africains à des accords commerciaux qui déstructurent leurs filières agricoles et de pêche.
Enfin, si nous comprenons l’impasse de nos aventures militaires à répétition, nous devrions prendre un tournant concernant les bases militaires permanentes, en allant le plus rapidement possible vers leur suppression. Soyons lucides et honnêtes. L’exercice par la France de ce pan important de la souveraineté des pays africains a produit globalement des résultats très médiocres. Dire cela n’est pas renoncer à toute coopération militaire avec les pays précités, mais c’est accepter le refus des pays africains d’être dans une relation exclusive et dépendante en matière militaire comme dans tous les autres domaines. Il faut accepter qu’il y ait une pluralité de partenaires stratégiques. A défaut, nous précipiterons une évolution que nous dénoncerons peut-être avec véhémence.
Oui, Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, c’est dans tous les domaines qu’il faut changer de logiciel en Afrique. J’y suis allé un peu à la serpe, je le reconnais. Mais je conclus pour dire qu’il faudra résolument aller vers ce changement de logiciel. C’est ce que nous ne cessons de proposer et c’est ce que ne cesseront désormais de nous rappeler les peuples africains. Merci.
Seul le prononcé fait foi
Loi de programmation militaire : 413 milliards pour la guerre ?

Il y a 3 mois, le 28 juin 2023
Par Pierre Laurent
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Monsieur le rapporteur, Mes chers collègues, Avec cette Question Préalable, le groupe CRCE souhaite poser à notre Haute Assemblée une question simple : est-il vraiment sérieux de débattre dans ces conditions d’une Loi de programmation militaire d’un montant exceptionnel de 413 milliards d’euros ? Son ampleur, le tournant stratégique […]
La France, Mayotte, et les Comores : sortir de l’impasse, construire un avenir solidaire

Il y a 4 mois, le 12 juin 2023
Par Pierre Laurent
Le 10 juin, j’ai eu le plaisir de rencontrer de nombreux responsables de la communauté comorienne en France. À cette occasion, j’ai prononcé cette intervention sur les relations entre la France, Mayotte et les Comores, rappelant la nécessité de construire un avenir solidaire pour tous dans l’océan indien.
Mon discours au Sénat : « En Afrique, la France doit changer de logiciel ! »

Il y a 4 mois, le 7 juin 2023
Par Pierre Laurent
Mercredi 6 juin, le Gouvernement organisait un débat au Sénat sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution, concernant la politique de la France en Afrique. Je suis intervenu au nom du groupe CRCE, pour appeler à un changement complet de logiciel concernant nos relations avec le continent africain !
Mon intervention au Sénat sur la proposition de résolution reconnaissant le génocide ukrainien de 1932-1933

Il y a 5 mois, le 17 mai 2023
Par Pierre Laurent
Ce 17 mai au Sénat, nous débattions d’une proposition de résolution présentée par Mme Joëlle Garriaud-Maylam (LR), visant à appliquer le qualificatif de génocide aux famines meurtrières de 1932-1933 en Ukraine. À travers l’intervention ci-dessous, j’ai pu porter la position des sénatrices et sénateurs CRCE sur cette question.
Tribune dans Le Monde : « Voter 413 milliards de crédits militaires sans avoir de débats avec le pays, ce ne serait pas sérieux »

Il y a 5 mois, le 16 mai 2023
Par Pierre Laurent
Alors que s’ouvre en France la discussion sur la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, j’ai fait le choix de m’exprimer aujourd’hui dans les colonnes du Monde, avec cinq de mes collègues parlementaires, membres des groupes GDR de l’Assemblée et CRCE du Sénat. Dans cette tribune, nous exposons les questions structurantes liées à notre politique de défense, qui devraient faire l’objet d’un grand débat public et démocratique avec les Français·es !
Évacuation du Soudan des ressortissants étrangers et rôle des entreprises de sécurité privée

Il y a 5 mois, le 3 mai 2023
Par Pierre Laurent
M. Pierre Laurent attire l’attention de Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères sur l’évacuation du Soudan des ressortissants étrangers en général ainsi que des Français et des ressortissants de l’Union européenne (UE), en particulier. Les opérations d’évacuation des ressortissants se fondent sur les devoirs de protection des États vis-à-vis de leurs citoyens. […]