L’espace, notre bien commun ? Un autre regard sur Don’t look up

Il y a 2 ans, le 24 janvier 2022
Par Pierre Laurent
Sorti pendant les Fêtes avec à l’appui toute la force de frappe de Netflix, porté par un prestigieux casting, le film Don’t look up : Déni cosmique s’est diffusé comme une traînée de poudre dans des millions de foyers. Au niveau mondial, il s’agit du deuxième film le plus vu de l’histoire de la plateforme. Dans le film, la comète « tueuse de planètes » qui doit frapper la Terre agit comme une puissante métaphore du dérèglement climatique, de la menace grandissante que beaucoup refusent obstinément de voir. Mais à travers l’histoire de cette menace venue des profondeurs de la galaxie, Don’t look up nous parle aussi de l’espace, de sa gestion par les humains, de son appropriation par les nouvelles puissances financières. Il s’agit d’un véritable enjeu d’avenir pour l’Humanité.
Sorti pendant les Fêtes avec à l’appui toute la force de frappe de Netflix, porté par un prestigieux casting, le film Don’t look up : Déni cosmique s’est diffusé comme une traînée de poudre dans des millions de foyers. Au niveau mondial, il s’agit du deuxième film le plus vu de l’histoire de la plateforme.
La presse s’en est largement fait écho, saluant cette satire réussie d’un monde confronté à sa fin prochaine. Dans le film, la comète « tueuse de planètes » qui doit frapper la Terre agit comme une puissante métaphore du dérèglement climatique, de la menace grandissante que beaucoup refusent obstinément de voir.
Tirant jusqu’au bout le fil de son scénario apocalyptique, le réalisateur Adam Mackay, proche de Bernie Sanders et de la gauche américaine, dresse un portrait sans concession des grands maux de notre époque. Du cynisme de la Maison-Blanche à l’irresponsabilité des médias d’infotainment, en passant par les effets néfastes des réseaux sociaux sur le débat public, tous les phénomènes les plus marquants de la dernière décennie sont reproduits à l’écran avec un humour grinçant.
Pour ma part je voudrais revenir sur un autre thème structurant du film, qui n’a pourtant fait l’objet que de peu de commentaires. A travers l’histoire de cette menace venue des profondeurs de la galaxie, Don’t look up nous parle aussi de l’espace, de sa gestion par les humains, de son appropriation par les nouvelles puissances financières. Il s’agit d’un véritable enjeu d’avenir pour l’Humanité.
Parodiant à la fois Steve Jobs, Mark Zuckerberg et Elon Musk, le personnage de l’excentrique milliardaire Peter Isherwell vient servir le propos du réalisateur sur les appétits privés grandissants engendrés par la conquête spatiale. Le PDG va jusqu’à imposer à Meryl Streep, grimée en présidente des États-Unis, de ne pas faire dévier la comète, espérant ainsi pouvoir exploiter les précieuses ressources minières qu’elle contient.
L’espace, bientôt privatisé ?
Au-delà des choix narratifs du film, le poids grandissant des sociétés privées dans la conquête spatiale s’est illustré à de nombreuses reprises ces dernières années, qu’il s’agisse des tentatives spatiales d’Elon Musk, de Jeff Bezos ou encore de Richard Branson. Comme le remarquait récemment le magazine Capital, « jadis, faire décoller des fusées était le fait des États. Mais depuis quelques années, les rois de la tech s’y sont mis à leur tour, avec un succès phénoménal ». En fait, ces champions du « libre capitalisme » pillent aisément, au passage, le savoir-faire accumulé par les États (en l’occurrence la NASA).
Du tourisme spatial aux expéditions sur Mars, en passant par l’implantation de colonies lunaires, les projets de ces grandes fortunes ne manquent pas pour les décennies à venir. Leurs ambitions sont rendues possibles, en premier lieu, par les progrès techniques fulgurants dans le secteur aérospatial, associés à un abaissement des coûts. Lanceurs réutilisables, diminution de la taille des satellites… Le prix au kilogramme pour une mise en orbite est passé ces dernières décennies de 200 000 à seulement 10 000 dollars.
Par ailleurs depuis une vingtaine d’années, les opérateurs étatiques, confrontés au dogme de la réduction des dépenses publiques, ont appris à travailler plus étroitement avec les entreprises privés, d’abord comme simples sous-traitantes, aujourd’hui comme partenaires de premier plan. De fait la puissance financière de ces nouveaux magnats alimente désormais pleinement les projets de conquête spatiale : en une vingtaine d’années, les investissements dans les entreprises spatiales sont passés de 1 à 186 milliards de dollars.
Et pourtant, l’engagement et l’investissement publics de long terme ont été indispensables à Elon Musk, par exemple, pour mettre sur pied ses projets. Encore aujourd’hui, son entreprise SpaceX vit essentiellement de commandes publiques. Autrement dit, nous assistons actuellement à l’appropriation par des intérêts privés du fruit de décennies d’investissement public, intégralement financé par les contribuables.
La dépendance des capitalistes aux États n’est pas seulement financière. Selon les conventions internationales en vigueur, tout lancement spatial ne peut être effectué que sous l’autorité et la responsabilité d’un État. Celui-ci assume les conséquences légales du lancement mais aussi de l’ensemble des activités qui en résulteront dans l’espace. Si les puissants de ce monde sont en bonne voie pour s’approprier l’accès au cosmos, c’est donc en premier lieu grâce à la bénédiction de nos propres gouvernements…
Le traité de 1967 remis en cause
Le processus de privatisation à l’œuvre n’est pas sans lourdes conséquences sur les équilibres mondiaux. Il y a 55 ans en pleine Guerre froide, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union soviétique se mettaient d’accord pour attribuer un statut spécifique à l’espace extra-atmosphérique, à la Lune aux corps célestes. Le traité de 1967 affirme ainsi l’espace comme « res communis omnium » (bien commun de tous), consacrant le droit à sa libre exploration et à sa libre utilisation. Surtout, il pose le principe de non-revendication : l’espace étant bien « l’apanage de l’Humanité », nul ne peut se l’approprier. Pendant longtemps, ce statut unique de l’espace a permis de limiter les dangers notamment en matière militaire.
Malheureusement ce texte fondateur est toujours plus remis en cause. Sa faiblesse principale, à savoir l’absence d’instance internationale de coordination et de contrôle, est exploitée par les grandes puissances, États-Unis en tête pour pousser les feux de la marchandisation du cosmos. Ainsi en 2015, Barack Obama signe le Space Act, qui autorise les états-uniens à extraire des ressources de l’espace et à les commercialiser. Depuis, de nombreux pays dont le Luxembourg en 2017, les Émirats Arabes Unis en 2019, le Japon l’an dernier ont avancé sur la même voie. A l’instar de nombreux scientifiques, je juge cette situation extrêmement dangereuse. Sous la pression de puissants intérêts privés, les États sont en train de détricoter le Traité de l’espace, principale garantie pour notre sécurité collective.
De l’embouteillage spatial aux risques de confrontation militaire
L’engouement actuel pour la conquête spatiale et la marchandisation de l’espace posent des problèmes très concrets, à commencer par le risque accru de collision entre les engins qui gravitent de plus en plus nombreux autour de notre planète.
Selon le Centre National d’Études Spatiales, depuis 1957 11 537 satellites ont été lancés. La moitié sont encore en orbite, mais seuls 2 200 sont encore en fonctionnement. Et les chiffres sont toujours plus vertigineux. Avec le seul projet Starlink d’Elon Musk, 1 500 satellites sont déjà en orbite ; ils devraient être à terme au nombre de 42 000 !
Dès lors le risque de collision s’accroît chaque jour un peu plus. Au-dessus de nos têtes à une vitesse de 28 000 kilomètres à l’heure, gravitent déjà plus de 100 millions d’objets, la plupart ne mesurant que quelques centimètres. Chaque satellite détruit par collision entraîne la formation de centaines de débris, pouvant eux-mêmes causer de nombreux dégâts et entraîner des réactions en chaîne. Si rien n’est fait pour nous en prémunir, l’orbite basse, sur laquelle gravitent la plupart des satellites, pourrait ainsi devenir inutilisable…
Malgré ce risque aucune coopération internationale n’a été impulsée à ce jour, pour mettre en place un aiguillage de l’espace, sur le modèle de la régulation de l’aviation civile. Pire, l’absence de coopération internationale sur ces enjeux majeurs se double d’une véritable militarisation de l’espace ! La dépendance de plus en plus forte des économies et des troupes militaires aux systèmes de géolocalisation, tout comme le perfectionnement des outils balistiques, amènent le militaire à investir toujours davantage l’espace comme champ de confrontation possible.
La création de Space Army par les États-Unis rompt brutalement avec l’article 4 du Traité de 1967, affirmant l’usage uniquement pacifique de l’espace. La France a décidé de suivre cette voie, avec la mise en place du corps d’armée spatial par Emmanuel Macron, rattaché à l’Armée de l’Air.
Que fait la France ?
Les digues cèdent les unes après les autres, et les dangers grandissent. Si l’on ne veut pas faire de l’espace un nouveau Far West où règnerait la loi du plus fort, une nouvelle initiative multilatérale est nécessaire, réaffirmant l’espace comme bien commun de l’Humanité.
En tant que puissance spatiale de premier plan, la France pourrait jouer un rôle déterminant. Ainsi, nous sommes l’un des seuls pays au monde à disposer d’une loi sur la responsabilité des opérateurs de satellites, qui les oblige à garantir leur gestion tout au long de leur cycle de vie. Ces dispositions mériteraient d’être transposées aux plans européen et mondial.
Plus globalement à l’occasion de la présidence française de l’UE, notre pays peut et doit agir, avec l’Agence Spatiale Européenne, en faveur de la préservation de l’espace des logiques marchandes et militaires. En agissant de la sorte, la France retrouverait de la voix et de la grandeur sur la scène internationale.
Alors bien sûr comme dans le film d’Adam Mackay, nous pourrions décider de ne rien voir, de ne pas nous préoccuper de l’espace et de ce qui s’y jouera dans les années à venir. Nous pourrions décider de laisser faire, de confier aux appétits privés la gestion de cette nouvelle frontière.
Mais si nous faisions ce choix, je crains bien que nous ne connaissions le même sort funeste que les protagonistes de Don’t look up, victimes de leur incapacité à coopérer au service de l’intérêt général humain.
Alors gardons les yeux ouverts, et agissons ensemble pour préserver l’espace, ce bien commun de l’Humanité.
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