La France, Mayotte, et les Comores : sortir de l’impasse, construire un avenir solidaire

Il y a 4 mois, le 12 juin 2023
Par Pierre Laurent
Le 10 juin, j’ai eu le plaisir de rencontrer de nombreux responsables de la communauté comorienne en France. À cette occasion, j’ai prononcé cette intervention sur les relations entre la France, Mayotte et les Comores, rappelant la nécessité de construire un avenir solidaire pour tous dans l’océan indien.
Mesdames, Messieurs,
Chers amis, Chers camarades,
Je vous remercie de m’avoir invité à votre initiative. Dès le début de son premier mandat en 2017, Emmanuel Macron s’était fait connaître aux Comores en tenant des propos insultants envers les milliers de morts au large de Mayotte. ll avait osé dire au cours d’une visite dans un Centre régional de sauvetage maritime dans l’ouest de la France que « le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien ». Voilà le visage d’une condescendance qui en disait long déjà à l’époque, d’autant que l’État français porte une très lourde responsabilité dans ce crime affreux qui se perpétue et qui fait de la mer d’Anjouan le plus grand cimetière marin du monde.
L’opération Wuambushu à Mayotte, qui vise à la destruction de bidonvilles et à l’expulsion de milliers de femmes et d’hommes, est dans la triste continuité de ces déclarations de Macron. Il s’agit d’une véritable opération de ratissage orchestrée par le gouvernement français, appuyée par un déploiement massif de forces militaires et policières, qui vise à détruire des dizaines de quartiers d’habitat informel et à expulser des centaines, voire des milliers de ressortissants comoriens.
A l’instar de nombreuses agences internationales, institutions nationales ou associations (UNICEF, CNCDH, LDH, Cimade) qui ont alerté sur les graves atteintes aux droits fondamentaux des personnes visées par cette opération, en particulier les enfants, le PCF et leurs élus condamnent ces agissements inqualifiables. Une partie est d’ailleurs condamnée par la justice. Tout comme il condamne les déclarations irresponsables de dirigeants politiques hexagonaux et mahorais, qui ne font qu’exacerber les tensions.
L’opération Wuambushu, en plus d’être liberticide, ne résoudra aucun des problèmes ni de l’île de Mayotte, ni du reste des Comores. Comme je l’ai déjà souligné lors de ma rencontre avec Mohamed Soilihi et Ben Halidy Halidi, l’opération Wuambushu est la dernière pièce d’une politique répressive qui a d’ores et déjà produit un cimetière maritime engloutissant des milliers de vies, à l’image de ce qu’il se passe dans la Méditerranée.
Notre solidarité internationaliste de communistes nous amène aussi à avoir une position sur le non-respect du droit international par notre pays en ce qui concerne Mayotte et les Comores. En effet depuis le début, la volonté coloniale avec la complicité d’élites locales, a été de garder la main sur Mayotte. Cette politique s’est appuyée sur une stratégie de division. D’un côté, les Comores ont été déstabilisées, déstructurées par l’intermédiaire de multiples coups d’État orchestrés par des mercenaires agissant souvent à la solde de Paris. De l’autre, la France a assuré une stabilité d’apparence à Mayotte et un développement asymétrique, à l’aide de nombreux financements. Cela a créé un contexte favorable pour l’organisation de référendums illégaux au regard du droit international, condamnés par l’ensemble des pays africains. Les consultations ont été organisées à l’échelle du pays, mais la France a entrepris d’analyser les résultats île par île, afin de justifier la « recolonisation » du territoire visé.
Le droit international est pourtant sans ambiguïté. La Résolution 1514, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée générale de l’ONU le 14 décembre 1960 fixe l’intangibilité des frontières coloniales : « Toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies». Le droit international précise par ailleurs que le parlement du pays colonisateur n’est absolument pas fondé pour décréter l’indépendance d’un territoire particulier. L’ONU « condamne les référendums du 8 février et du 11 avril 1976 organisés dans l’île comorienne de Mayotte par le Gouvernement français et les considère comme nuls et non avenus » ainsi que « toutes autres consultations qui pourraient être organisées ultérieurement en territoire comorien de Mayotte par la France. » Cela vaut donc aussi pour le référendum au cours duquel la population de Mayotte a approuvé le statut de Département d’Outre-Mer le 29 mars 2009.
Voilà l’origine, la genèse de ce drame. Le droit international a été bien pensé et construit pour éviter justement ce genre de situation. Quand l’Etat français à tordu et piétiné ce droit international en y opposant une modification de notre propre constitution, alors il s’est prêté à cette dérive et a créé les conditions du désastre auquel nous assistons. De ce point de vue, je veux rappeler avec force que le Parti communiste français s’est depuis le début opposé à cela. Nous avons même démontré depuis de nombreuses années qu’un scénario du pire était à craindre, tellement la situation constituait une bombe à retardement. On peut reprendre nos interventions au Sénat ou à l’Assemblée, ou tout simplement nos déclarations publiques, il se passe exactement ce qui nous redoutions à l’époque.
Donc ceux qui gonflent les muscles aujourd’hui, ceux qui font semblant de s’apitoyer sur la situation et sur les violences ont pourtant été alertés : ils savaient ce que leur propre politique allait produire. Non seulement, les uns et les autres ont laissé faire mais ils ont participé à aggraver au fil des ans leurs sinistres politiques. « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes » disait Bossuet, écrivain français du 17ème siècle. Cette analyse, pour ce qui nous concerne, s’appuie sur une approche assez simple finalement : on ne divise pas les peuples au risque de semer le chaos. Oui, l’Etat français a participé à diviser le peuple Comorien pour dominer la région, il a semé des graines détestables qui germent aujourd’hui sous forme y compris d’une xénophobie absurde et dangereuse. Il n’y a qu’à voir d’ailleurs le score de Le Pen à Mayotte aux dernières élections. Je rappelle d’ailleurs que le piège Le Pen est là, à Mayotte comme en France, pour absorber la colère, la stériliser, et pour faire bouillir la haine. Ce piège Le Pen, avec son faux discours, vise à empêcher toute réponse humaine, de solidarité, de progrès.
C’est donc ce crime originel de l’Etat français, au fil des années, qui a produit le désastre. Et il faudra en sortir, car le statut quo n’est plus possible. L’écart de développement renforcé par la France pour creuser un fossé entre Mayotte et les autres îles de l’archipel des Comores produit une déflagration croissante. Le fait que Mayotte ait accédé au statut européen de région ultrapériphérique (RUP), qui lui permet de bénéficier de fonds structurels de l’Union européenne pour son développement économique, va dans le même sens et creuse toujours davantage les inégalités. Celles-ci ne pourront se résorber que si l’ensemble de l’archipel se développe de manière équilibré.
L’asymétrie voulue par la France est un piège qui se retourne contre l’ensemble des Comoriens, Mahorais compris. Mayotte est à l’image des problèmes du monde : il ne peut pas exister de lieu d’apparente et d’illusoire prospérité côtoyant la misère. D’autant que l’État n’a pas assuré ses engagements à Mayotte. La stabilité, les services publics et les avantages tant miroités de la départementalisation ne sont pas au rendez-vous. Le manque de financements obère tout « rattrapage ».
La politique du bâton à Mayotte a atteint ses limites et génère des contradictions indépassables. Des milliers d’enfants dont les parents ont été expulsés de Mayotte se retrouvent livrés à eux-mêmes. Si il y a quelques années la politique de Trump de séparation des familles a provoqué une indignation salutaire dans le monde, c’est pourtant un résultat similaire qui frappe des familles comoriennes, avec des enfants séparés de leurs parents, ce qui contribue aussi aux nombreux problèmes de sécurité que subissent les populations. Le chômage est endémique, la délinquance prolifère, les services publics sont dépassés, à l’image de la maternité de Mamoudzou. Face à la contestation, à la colère, aux risques de divisions et de dérapages engendrés par cette situation délétère, le gouvernement multiplie les promesses sécuritaires et de colmatage incapables d’apporter des solutions à la profondeur des déflagrations en cours. D’autant qu’elles éludent toute issue sérieuse.
Cette issue sérieuse que nous appelons tous ici de nos vœux, passe aussi par le rétablissement de l’État de droit aux Comores, mis à mal par l’actuel chef de l’État Assoumani Azali, qui a un soutien inconditionnel du pouvoir français. Nous avons ensemble évoqué ce sujet mon cher Mohamed.
Il y a besoin d’une discussion globale entre tous les acteurs concernés, dont bien sûr le gouvernement français, sur l’avenir de la zone : développement économique, services publics… Il s’agirait de mettre en œuvre une véritable politique de codéveloppement dans cette zone de l’Océan indien, avec l’ensemble des pays et régions concernés et dans le cadre d’une facilité de circulation grandement améliorée et mise en place rapidement. Cela passe donc par l’abolition du visa Balladur.
Plus globalement pour l’avenir de l’archipel, des réponses nouvelles doivent être trouvées. Il est illusoire de penser que Mayotte puisse s’en sortir seule, quand bien même un improbable « plan Marshall » viendrait à sa rescousse. La France qui veut soumettre les autorités comoriennes afin qu’elles renoncent à l’intégrité des Comores, doit changer d’option. Personne n’a intérêt à rester au statu quo. La réponse aux défis passe par un avenir commun entre Mayotte et l’archipel. Il faut réparer les béances ouvertes, tant sur le plan du droit, de la symbolique, de la culture ou du développement économique.
Publié par le journal Médiapart ce jeudi 8 mars, un rapport camouflé par le gouvernement souligne une nouvelle fois cette urgence en révélant la situation de crise dont souffre Mayotte. Rédigé par l’inspection générale de six ministères (intérieur, justice, affaires sociales, finance, éducation et affaires étrangères), ce compte rendu relate la défaillance de l’État sur l’île dans les domaines de la santé, du logement, de l’éducation, de la justice ou encore de la sécurité. Ce rapport gardé sous le boisseau est une sorte de portrait général de l’île de Mayotte qui est absolument catastrophique en ce qu’il dévoile. Les administrations publiques et notamment de l’État, n’arrivent pas à endiguer les multiples crises qui secouent l’archipel depuis longtemps. Depuis des années mon amie Eliane Assassi, la présidente du groupe Communiste au Sénat, mon amie Laurence Cohen, Sénatrice communiste du Val-de-Marne et membre de la commission des affaires sociales, dénoncent cette situation affreuse et apportent leur solidarité y compris en allant sur place. Mon ami Jérémy Bacchi, Sénateur Communiste de Marseille a récemment posé une question d’actualité sur la situation dramatique de l’île.
Devant la dégradation de la situation, l’heure n’est pas à montrer ses muscles coloniaux mais à faire preuve de retenue et d’humilité. Face à une situation de plus en plus absurde et dangereuse, il faut que nous soyons rapidement en capacité de mener des actions communes pour accélérer la prise de conscience sur ce dossier et avancer vers des solutions concrètes.
La tâche n’est pas simple, car comme à chaque fois qu’il y a une crise, ou même une guerre, une fois que le mal est fait on ne peut plus le réparer aussi facilement qu’avant. Il faut donc imaginer, produire un scénario alternatif pour construire une issue au contentieux, qui apporte sur le plan du droit international, des réponses immédiates aux problèmes urgents, et pour plus tard, des réponses acceptables et désirables par tout le monde, sur toutes les îles de l’archipel. Il faut réparer les divisions et les asymétries, cela ne peut se faire non pas avec des logiques répressives et seulement de sécurité ou de police, mais par la reconstruction de solidarités. Avec l’idée que les peuples des îles comoriennes ne font qu’un, ils ont évidemment une destinée commune. On ne peut pas vivre bien sur une île si celle d’à côté souffre. L’idée à véhiculer, à répandre est la suivante : « On ne peut pas vivre bien si son voisin souffre. Nous avons les mêmes intérêts, les mêmes problèmes. J’ai donc intérêt à ce que mon voisin voie ses conditions de vie s’améliorer, et il faut lutter ensemble pour cela ». Cette approche définit en partie la gauche sur le plan politique. Alors qu’à droite on cultive les divisions, les mises en concurrence, les oppositions entre travailleurs partout dans le monde.
Au-delà de cet aparté, et si vous me le permettez, j’ai le sentiment qu’il nous faudra faire preuve d’une grande créativité pour cette feuille de route dégageant une issue pour les peuples des Comores. Nous avons besoin de votre réflexion, de votre expérience, nous pouvons y contribuer à notre niveau, pour ensemble imaginer les chemins à emprunter afin de réparer les dégâts et arriver à décoloniser les Comores, avec une sorte de 2ème indépendance. Cela passe vraisemblablement par des étapes, pour à la fois viser notre objectif commun, et être crédible et utiles sans attendre, c’est-à-dire dès maintenant, en nous posant les questions du type de bataille à mener, des propositions à faire, des coopérations à développer, et y compris de l’évolution du statut de l’île de Mayotte.
En tant que Comoriens vivant en France ou Français avec des origines comoriennes vous pouvez être pleinement acteurs de ces changements nécessaires pour les habitants des Comores, de Mayotte et de l’Hexagone. Ne nous interdisons rien et avançons ensemble en ce sens.
Je vous remercie.
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