Discours du 28 janvier « Impasse militaire et stratégies alternatives pour gagner la paix au Sahel »

Il y a 1 an, le 31 janvier 2022
Par Pierre Laurent
Dans un contexte de contestation toujours plus forte de la présence militaire française au Sahel, la junte malienne vient d’annoncer le renvoi de l’Ambassadeur de France au Mali. Cela relance le débat sur la stratégie de la France pour la paix et la sécurité collective dans cette région.
Vendredi 28 janvier, invité au colloque Amath Dansokho à l’université de Dakar, j’ai prononcé un discours sur l’impasse militaire dans laquelle s’enferme notre pays, ses conséquences et les moyens d’en sortir par le haut, au bénéfice des peuples et d’un développement partagé.
« Impasse militaire et stratégies alternatives pour gagner la paix au Sahel »
Discours prononcé le 28 janvier 2022 à l’université de Dakar
Seul le prononcé fait foi
« Mesdames, Messieurs, chers amis,
Les conséquences désastreuses des frappes franco-britanniques en Libye, appuyées par les États-Unis et l’OTAN en 2011, ont transformé ce pays en terreau du terrorisme, hébergeant des groupes armés et des mafias qui viennent y pratiquer librement le trafic d’êtres humains, l’esclavage, le trafic d’armes et de drogue. Les effets néfastes de cette opération militaire se sont fait sentir dans beaucoup de pays africains, dont le Mali.
En 2013, année du lancement de l’opération Serval la violence était confinée au Nord du Mali, aujourd’hui elle a embrasé le centre, le sud. Si les attaques terroristes y sont légion presque quotidiennement, elles touchent aussi les pays voisins : Niger, Burkina Faso et Côte d’Ivoire. Loin de reculer, cette violence s’est généralisée à tout le Sahel.
Pour un coût exorbitant – près de 1 milliard d’euros par an depuis neuf ans – et plus de 5 000 soldats engagés, les opérations Serval puis Barkhane infligent des pertes aux groupes djihadistes, mais ne font pas reculer la violence ni baisser les pertes humaines. Au contraire, elles ne font que s’accroître : 57 militaires français ont perdu la vie ; plus de 5 000 Maliens, soldats des armées locales ou civils, ont été tués depuis 2015 ; plus de 4 000 l’ont été dans l’ensemble de la région rien qu’en 2020 ; on comptabilise aussi des centaines de milliers de déplacés dans la sous-région.
La situation humaine, politique et économique du Mali s’aggrave. Dans ce contexte de déstabilisation sociale et politique, les islamistes salafistes continuent de développer leur sinistre entreprise, sous le parrainage des pétro-dictatures du Golfe.
Serval a été remplacé par Barkhane, impliquant le Tchad. Face aux nouveaux défis, la réponse a été la création, sous inspiration française, du G5 regroupant les armées du Mali, du Burkina Faso, du Niger, du Tchad et de la Mauritanie.
Présenté comme le nouveau bouclier anti-djihadiste, le G5 ne fait plus illusion, n’innovant en rien par rapport aux stratégies mises en place depuis Serval. Le même aveuglement persiste quant aux causes profondes endogènes et exogènes de la violence au Sahel.
Ce terrible constat démontre, s’il en était besoin, que la primauté ne peut plus aller à l’action militaire avec des objectifs non explicites et imprécis en Afrique, qui ne peuvent qu’amener à une perpétuation des conflits. Beaucoup d’experts militaires expliquent que dans le cadre actuel la présence militaire française au Mali pourrait durer des décennies. Sans parler du coût pour l’État français, cela aurait pour résultat de fragiliser ce pays face aux appétits des multinationales comme c’est le cas en RDC notamment.
Il est maintenant évident que la perspective de la seule réponse militaire est inopérante. L’objectif ne peut plus être simplement de dominer militairement mais de résoudre le conflit. Au bout de neuf ans, les « succès tactiques » ne suffisent plus. On ne peut plus se contenter des propos rassurants d’un Jean-Yves Le Drian évoquant des “victoires” sur les jihadistes.
Il y a nécessité de s’atteler à des solutions politiques et africaines, et commencer à s’attaquer aux racines du conflit, au terreau sur lequel prolifèrent les entrepreneurs de la violence. Les États ont été affaiblis, désarmés par l’ajustement structurel libéral. Ces logiques se poursuivent plus que jamais, et ce ne sont pas les quelques dons ou prêts octroyés par les puissances commanditaires qui changeront la donne.
On nous parle de logiques sécuritaires alors même que la sécurisation de la vie, les conditions de vie des habitants, ne sont jamais abordées.
C’est ce que les parlementaires communistes, dont moi-même n’ont cessé de porter lors des trop rares débats parlementaires qui ont eu lieu.
Sur le volet militaire tout d’abord puisque c’est celui dont nous parlons aujourd’hui. Au sujet de la coopération militaire entre l’État français et ses anciennes colonies, il faut arrêter les faux-semblants et l’hypocrisie. Cela fait plus de 60 ans que la France affirme aider ces pays à s’autonomiser en matière militaire, pour le résultat que l’on connait. Or, les armées africaines ont subi les mêmes logiques de délitement qui ont conduit à affaiblir les États depuis des décennies. Observons d’ailleurs que ces pays, dont le Mali, n’ont pas bénéficié d’un transfert de technologie véritable et efficace à leurs armées nationales. Ces transferts pourraient venir de France et d’ailleurs, en vue de rompre avec une relation quasi-exclusive avec l’ancienne puissance coloniale et de mettre en place des solutions africaines viables. Car il ne s’agit pas de remplacer une puissance tutélaire par une autre. Un retrait des troupes françaises devrait s’inscrire activement dans une telle démarche et ne pas être remis aux calendes grecques, dans une démarche concertée et organisée avec les autorités maliennes. La priorité doit aller vers le désarmement général de tous les groupes armés et le départ des troupes étrangères, s’inscrivant ainsi dans la feuille de route de Lusaka 2016 adoptée par l’Union Africaine qui vise à faire taire les armes sur le continent, et contient beaucoup de propositions concrètes pour y parvenir. Nous devons tirer les leçons et tourner la page de Barkhane, car l’impasse est certaine. Il faut créer les conditions d’un départ programmé de nos troupes, afin de lui substituer un nouvel agenda politique, économique et de sécurité pour le Mali et la région. Notre appui militaire doit être recentré sur le soutien aux armées locales, en retenant la formule d’un comité d’état-major conjoint des forces africaines qui ne soit pas une courroie de transmission de puissances étrangères. Depuis 2013, le Parti communiste français et ses parlementaires n’ont cessé d’alerter sur les dangers et le risque d’impasse de la démarche militaire au Mali à travers Barkhane, 42ème intervention de la France depuis les indépendances africaines. Comme je viens de l’évoquer nous portons d’autres choix pour créer les conditions d’un désengagement effectif avec un agenda de coopération car la sécurisation des conditions de vie est une des clefs pour le terreau des confits et des violences. Le fait de ne pas avoir pris en compte ces propositions nous amènent aujourd’hui dans une situation catastrophique, en premier lieu pour le Mali et les pays aux alentours mais aussi la France dont l’image s’est considérablement dégradée.
D’autres logiques doivent être mises en place aussi par exemple du point de vue fiscal. Ainsi la Sénatrice communiste Michèle Gréaume, en février de l’année dernière lorsqu’avait lieu au Sénat un débat sur l’Opération Barkhane faisait état au gouvernement français d’une initiative du Bureau du conseiller spécial pour l’Afrique de l’ONU, ses représentations permanentes de l’Afrique du sud et du Nigeria ainsi que l’Union africaine au sujet des flux financiers illégaux participant chaque année à la fuite de 88,6 milliards de dollars du continent. Cela représente presque autant que les rentrées annuelles combinées de l’APD et des investissements étrangers en Afrique. Parmi les recommandations de ce document, on retrouve des éléments centraux comme la suppression des paradis fiscaux offshore, qui permettent un accès rapide aux richesses illégalement acquises, mais aussi un renforcement des dispositifs de restriction de circulation des armes. De plus, la question de l’opérationnalisation du fonds spécial de l’Union africaine de prévention et de la lutte contre le terrorisme est posée. Enfin, cette feuille de route fait de la lutte contre la corruption, du renforcement institutionnel des États et du renouvellement des élites politiques une priorité. Nous avons demandé à ce que le gouvernement français appuie une telle démarche et nous nous sommes heurtés à un refus catégorique en la matière.
Il est urgent que soit sécurisée la vie grâce à l’accès à l’éducation, à un système de santé solidaire, à des services et des biens publics. En permettant aux Africains de reprendre la maîtrise des richesses du sol et du sous-sol, de leur souveraineté. L’ensemble de nos efforts doit être tourné vers la coopération, le transfert des savoirs, des compétences, permettre de produire sur place, favoriser une économie de réponse aux besoins vitaux. Il faut donc cesser d’interférer dans les systèmes monétaires, donner la priorité à la lutte contre l’évasion fiscale qui est un véritable pillage du continent. Plutôt que de faire des réformes en trompe l’œil du franc CFA, il s’agirait plutôt de donner la parole aux peuples et aux parlements africains concernés, pour qu’ils choisissent quelle voie ils veulent suivre en la matière. C’est ce que les sénateurs et les députés communistes ont défendu comme point de vue face à un gouvernement qui était à la peine pour argumenter.
C’est aussi, en matière monétaire, de changer au FMI les critères d’allocation des droits de tirage spéciaux (DTS) en vue d’atténuer l’impact à moyen et long terme des vulnérabilités structurelles des pays du Sud, dont les pays africains et une réaffectation beaucoup plus importante qu’aujourd’hui des DTS non utilisés. Les sénateurs communistes ont à mon initiative fait une proposition de résolution en ce sens.
C’est aussi changer de braquet en matière d’Aide publique au développement. Mon ami, le député communiste, Jean-Paul Lecoq développera également à ce sujet mais je voudrais me faire écho de quelques points que j’ai soulevé lors du dernier débat parlementaire. Une politique d’aide au développement n’a de sens que si elle s’accompagne d’un changement d’approche global de l’accès au financement, à la fiscalité et à la création monétaire des pays bénéficiaires de cette aide. La seule APD ne suffira pas à leur développement. C’est ce que je viens de soulever. Une fois cette limite posée il reste quand même beaucoup de choses à dire.
Il en est ainsi de la fiscalité par exemple. La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) regrette depuis des années que la communauté internationale néglige la fiscalité en tant qu’enjeu de développement. C’est pourquoi j’ai avec mes collègues sénateurs communistes, proposé que pas moins 10 % de l’aide publique au développement (APD) française soit dédiée au soutien au renforcement des systèmes fiscaux des pays en voie de développement, sans que là encore je ne sois entendu ni par le gouvernement, ni par la majorité sénatoriale de droite.
Plus généralement la politique de développement ne doit pas servir d’enrobage pour enjoliver des interventions militaires françaises en Afrique, qui sont au nombre de quarante-deux depuis le début des indépendances. Permettez-moi également d’évoquer le fait que la France tient, de fait, le stylo en ce qui concerne les résolutions de l’ONU traitant des pays de son pré carré. Si, dans l’absolu, nous ne sommes pas hostiles aux appuis militaires dans le cadre des Nations unies, nous gardons à l’esprit cet état de fait, qui jette souvent un doute sur ceux-ci.
Dans la conception néocoloniale qui imprègne le palais de l’Élysée, quel qu’en soit les locataires les plus contemporains, de Mitterand, à Chirac, de Sarkozy à Hollande et jusqu’à Macron, il y a la croyance que c’est par les armes et les coups tordus que l’on peut maintenir une politique de puissance dans les domaines militaire, stratégique, économique.
Si des intérêts privés qui sont de mèche avec la France officielle, tirent bel et bien profit d’une telle politique, dans des liens incestueux et dans une grande opacité, la réalité est que l’on observe un recul de la place de notre pays en Afrique. Et s’ajoute à cela de manière évidente depuis quelques temps, un effondrement de l’image de l’État français, et par ricochet de son armée, auprès des populations africaines. Le sentiment de toute puissance rend aveugle et le gouvernement français est incapable d’envisager même une autre politique. Tout juste est-il contraint de manœuvrer pour donner quelques gages. Ainsi M. Macron, à la suite de son discours d’Ouagadougou de 2017, a-t-il fait quelques gestes pour lever des irritants politiques, je pense à la restitution des œuvres. Mais les faits sont têtus et depuis 2017, les actes de M. Macron n’ont eu de cesse d’être en contradiction totale avec son discours de rupture. Du soutien à la dictature de père en fils au Tchad, du soutien au jouet de la France qu’est l’autocrate d’Abidjan Alassane Ouattara, aux deals passés avec Kagamé, jusqu’aux sanctions intolérables contre le Mali, tout démontre que rien ne change réellement, si ce n’est que l’on passe d’une logique de Françafrique à une logique plus large de soutien aux acteurs privés transnationaux, à une sorte de « MultinationaleAfrique » comme le dit Jean-Paul Lecoq.
Permettez-moi un mot sur les sanctions iniques dont est victime le peuple malien et dont souffrent aussi les peuples limitrophes, dont celui du Sénégal, de la part de la CEDEAO et de l’Union européenne.
Ces sanctions en plus d’être préjudiciables pour les populations sont un grave non-sens du point de vue du combat contre les entrepreneurs de violence djihadistes notamment. Établir un embargo pour affaiblir des alliés, bienvenue en absurdie…
Dans l’intérêt des peuples et pour mener à bien la lutte contre les obscurantistes violents j’appelle à la levée immédiate de ces sanctions et les peuples et dirigeants à quelques niveaux que ce soit, à ne pas les respecter, à passer outre.
Je vous remercie. »
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