Afghanistan – Ne pas fuir une nouvelle fois les responsabilités qui incombent à notre pays

Il y a 2 ans, le 26 août 2021
Par Pierre Laurent
Monsieur le président,
Lors de votre allocution devant la nation, lundi 16 août au soir, vous avez publiquement pris acte du retour au pouvoir, après 20 ans de guerre et d’occupation militaire américaine et occidentale, des talibans afghans en Afghanistan. Vous avez également tenu à rappeler le rôle tenu, dans ce pays, sur le plan militaire, par la France, de 2001 à 2014, aux côtés des États-Unis d’Amérique.
Monsieur le président,
Lors de votre allocution devant la nation, lundi 16 août au soir, vous avez publiquement pris acte du retour au pouvoir, après 20 ans de guerre et d’occupation militaire américaine et occidentale, des talibans afghans en Afghanistan. Vous avez également tenu à rappeler le rôle tenu, dans ce pays, sur le plan militaire, par la France, de 2001 à 2014, aux côtés des États-Unis d’Amérique.
Vous avez cru bon de qualifier cette guerre décrétée par GW Bush, alors président, de «combat juste». Vous avez affirmé que c’était «l’honneur de la France» d’y avoir participé pendant 13 années et rappelé en cela la mémoire de nos 90 soldats tombés en service. Justement, en leur mémoire et en hommage aux troupes et personnels engagés, en hommage aux Afghan-e-s, en hommage aux morts et en respect des vivants, en soutien à celles et ceux qui ont besoin de solidarité, il faut tenir un langage de vérité et de lucidité. Il en va de l’honneur de l’Afghanistan et de celui de la France, de ne pas, comme vous l’avez fait, réécrire l’histoire.
Permettez-moi, Monsieur le président, de rappeler ceci :
Il est un fait historique clairement établi que l’invasion de l’Afghanistan en 2001 par les forces armées américaines, appuyées par une coalition occidentale, était à l’origine une expédition punitive revendiquée, ayant pour but de forcer le gouvernement taliban afghan à livrer Oussama Ben Laden, responsable des attentats du World Trade Center. Il s’agissait, comme l’a dit très clairement le président Biden, de venger les attentats mais aussi une trahison aux yeux des États-Unis, Ben Laden ayant longtemps travaillé avec les services américains. Le sort du peuple afghan, et je pense tout particulièrement à celui des femmes de ce pays, était dès lors bien éloigné, dès l’origine, des motivations de cette intervention qui ne visait en rien une solution de paix et de sécurité internationale.
Que le terrorisme comme mode d’action criminel, que l’obscurantisme islamique et sa violence constituent des facteurs de chaos et de dangers qu’il faut combattre résolument et battre durablement, ne fait aucun doute chez toutes celles et ceux qui sont épris de démocratie. Mais cela n’enlève rien au caractère criminel et illégal de ce que fut alors cette intervention militaire qui ne fut rien d’autre qu’une vengeance sans perspective politique démocratique pour l’Afghanistan, la région et le monde. C’est le peuple afghan qui, à nouveau, après la guerre civile puis l’intervention russe, après enfin 5 ans de régime taliban (adoubé par les États-Unis), en a payé le lourd tribut. L’honneur de la France eût été de ne pas céder à cette injonction aux allures de loi du Talion. Et je me dois, d’ailleurs, de vous rappeler à quel point les Français ont exprimé au fur et à mesure du temps leur opposition à cette intervention et présence militaires françaises. Les 20 années d’opérations et d’occupation militaires leur ont donné raison et sont venues confirmer qu’il s’ agissait là d’une impasse et d’une erreur historique des plus graves: non seulement les réseaux et groupes terroristes en question n’ont pas faibli mais l’Afghanistan a servi de base de formation aux nombreux groupes qui apparaîtront ensuite au Sahel comme au Moyen-Orient et qui sont aujourd’hui à l’œuvre. La militarisation des relations internationales ne cesse de nourrir partout la guerre et la misère.
Les historiens sérieux ont aussi démontré que la décision, prise ensuite par le même président américain, d’engager une guerre en Irak, sur des bases mensongères, a renforcé le processus amorcé par l’invasion militaire de l’Afghanistan. Ce fut là, on s’en souvient, l’honneur de la France que de s’y opposer publiquement.
Mais dans le même temps, les politiques de connivence de la France et de ses alliés de l’Otan avec des pays , soutenant des forces islamistes violentes, notamment les talibans, ont favorisé la déstabilisation d’états, la persécution des forces démocratiques, progressistes et de paix, la militarisation et l’internationalisation des conflits. Il en est de même du double jeu constant exercé par les puissances internationales et régionales sans que jamais les aspirations légitimes et réelles, démocratiques et socio-économiques, des peuples de cette vaste région ne soient respectées.
Je ne vous dis rien que vous ne sachiez déjà, Monsieur le président, mais ce sont des vérités auxquelles les Français ont plus que jamais droit en cette période. Les Français-e-s doivent également savoir quelle est, dans cette zone et dans le grand Moyen-Orient, la politique de la France? Quelle est, au fond,sa vision? Ils l’ignorent aujourd’hui et votre intervention lundi soir ne les a pas éclairés.
N’y a-t-il pas enfin des leçons à tirer de ces années de «guerre au terrorisme», plutôt que de persister dans le déni de ces réalités? La première d’entre elles est que sans projet politique solide voué à faire progresser des solutions démocratiques maîtrisées par les peuples concernés, toute intervention militaire est vouée à l’échec, et nourrit à terme le contraire de ce qu’elle prétend défendre.
Quel était ce projet en Afghanistan? Lorsque vous affirmez, je vous cite : «l’intervention militaire française a donc définitivement cédé la place, le 31 décembre 2014, à l’action civile que nous avons continué de mener à bien auprès du peuple afghan», je vous demande: quelles actions et avec quels résultats? Le pays est aujourd’hui totalement dépendant d’un point de vue économique, les perspectives sont quasi nulles pour sa jeunesse. Ce qui existe encore est le fruit de leur travail et de leurs efforts quand l’armée, l’État et les institutions se sont révélés fantoches ou gangrenés par la corruption. La situation était sciemment ignorée du côté européen: ce pays qui chaque année se trouvait en tête du classement des pays les plus violents se voyait requalifier par nous de pays «sûr» dans la seule intention de renvoyer nombre de réfugiés afghans jugés «indésirables».
Et voici qu’à nouveau Monsieur le président, vous affirmez, lundi, sans rougir, que «l’Afghanistan aura aussi besoin dans les temps qui viennent de ses forces vives et (que) l’Europe ne peut pas à elle seule assumer les conséquences de la situation actuelle». Oubliez vous que cela fait bien longtemps que l’Europe, la France, n’assument pas du tout leurs actes et décisions militaires et ont fermé leurs portes aux Afghan-e-s?
Comme pour l’immense majorité des migrant-e-s, ce sont les pays et régions limitrophes qui «assument» cette responsabilité, le plus souvent dans des camps mis en place par le HCR où le provisoire peut durer des générations. A l’unisson de l’extrême droite française ou de la droite allemande, vous cédez à des peurs fantasmées en affirmant «nous devons anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants»; oubliez vous que ces «flux» sont des êtres humains qui cherchent à sauver leur vie? Vous conviendrez, Mr le Président, que la consigne de «nous (en) protéger» saisisse d’effroi…
Je vous demande donc de ne pas fuir une nouvelle fois les responsabilités qui incombent à notre pays, à ses valeurs, et à l’Europe: la protection du peuple afghan et de ses forces démocratiques, l’accueil des réfugiés autant qu’il en est besoin, l’autorisation à nouveau du regroupement familial, l’apport d’une aide humanitaire d’urgence, sans passer par les réseaux corrompus de l’ancien régime ou des talibans, à la population qui est dans le dénuement le plus total. Je vous demande ensuite, sans délai, la mise en œuvre de tous les moyens de pression politique internationale sur le régime des talibans pour protéger les forces vives restées dans ce pays, empêcher une nouvelle régression des droits humains, éviter le pays de sombrer dans une nouvelle guerre civile. Plus que jamais le peuple afghan a besoin de paix, il a besoin de sentir et vérifier concrètement notre soutien. Il n’ a pas besoin de propos qui le présentent comme une menace.
Vous en appelez, Monsieur le Président, au sang froid. Veillez, permettez moi de vous le dire, à ne pas confondre sang froid et cynisme. Le sang froid nous ordonne de construire des solutions, celles que nous connaissons, apprises de nos manquements vis-à-vis des Syriens et des migrants de façon générale: organiser les voies légales et sécurisées de migration dans le pays de leur choix, tout en construisant en même temps les voies d’un développement propre à chaque pays, maîtrisé par lui, visant le développement mondial solidaire et respectueux de la planète dont l’humanité a aujourd’hui un commun et immense besoin.
Au delà, et de manière urgente même si nous savons que les solutions prendront du temps à produire leurs effets, c’est de la construction de sécurités internationales partagées dont il faut reparler au plus vite. Les droits humains ne seront pas l’apanage d’un club de nations riches, dominatrices, championnes des inégalités mondiales, de la course aux armements, des ventes d’armes et des interventions militaires extérieures. Développement, démocratie, désarmement,
ces trois exigences doivent être menées de front dans un combat multilatéral où chaque peuple est invité à la table des grands. Aurez-vous le courage, Monsieur le Président, d’ouvrir enfin ce débat politique essentiel pour l’avenir de l’humanité, plutôt que de continuer à enfermer nos concitoyens dans un récit aussi dangereux qu’anachronique ?
Pierre Laurent
Sénateur
Vice-président de la Commission des affaires étrangères et des forces armées
Loi de programmation militaire : 413 milliards pour la guerre ?

Il y a 5 mois, le 28 juin 2023
Par Pierre Laurent
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Monsieur le rapporteur, Mes chers collègues, Avec cette Question Préalable, le groupe CRCE souhaite poser à notre Haute Assemblée une question simple : est-il vraiment sérieux de débattre dans ces conditions d’une Loi de programmation militaire d’un montant exceptionnel de 413 milliards d’euros ? Son ampleur, le tournant stratégique […]
La France, Mayotte, et les Comores : sortir de l’impasse, construire un avenir solidaire

Il y a 6 mois, le 12 juin 2023
Par Pierre Laurent
Le 10 juin, j’ai eu le plaisir de rencontrer de nombreux responsables de la communauté comorienne en France. À cette occasion, j’ai prononcé cette intervention sur les relations entre la France, Mayotte et les Comores, rappelant la nécessité de construire un avenir solidaire pour tous dans l’océan indien.
Mon discours au Sénat : « En Afrique, la France doit changer de logiciel ! »

Il y a 6 mois, le 7 juin 2023
Par Pierre Laurent
Mercredi 6 juin, le Gouvernement organisait un débat au Sénat sur le fondement de l’article 50-1 de la Constitution, concernant la politique de la France en Afrique. Je suis intervenu au nom du groupe CRCE, pour appeler à un changement complet de logiciel concernant nos relations avec le continent africain !
Mon intervention au Sénat sur la proposition de résolution reconnaissant le génocide ukrainien de 1932-1933

Il y a 7 mois, le 17 mai 2023
Par Pierre Laurent
Ce 17 mai au Sénat, nous débattions d’une proposition de résolution présentée par Mme Joëlle Garriaud-Maylam (LR), visant à appliquer le qualificatif de génocide aux famines meurtrières de 1932-1933 en Ukraine. À travers l’intervention ci-dessous, j’ai pu porter la position des sénatrices et sénateurs CRCE sur cette question.
Tribune dans Le Monde : « Voter 413 milliards de crédits militaires sans avoir de débats avec le pays, ce ne serait pas sérieux »

Il y a 7 mois, le 16 mai 2023
Par Pierre Laurent
Alors que s’ouvre en France la discussion sur la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, j’ai fait le choix de m’exprimer aujourd’hui dans les colonnes du Monde, avec cinq de mes collègues parlementaires, membres des groupes GDR de l’Assemblée et CRCE du Sénat. Dans cette tribune, nous exposons les questions structurantes liées à notre politique de défense, qui devraient faire l’objet d’un grand débat public et démocratique avec les Français·es !
Évacuation du Soudan des ressortissants étrangers et rôle des entreprises de sécurité privée

Il y a 7 mois, le 3 mai 2023
Par Pierre Laurent
M. Pierre Laurent attire l’attention de Mme la ministre de l’Europe et des affaires étrangères sur l’évacuation du Soudan des ressortissants étrangers en général ainsi que des Français et des ressortissants de l’Union européenne (UE), en particulier. Les opérations d’évacuation des ressortissants se fondent sur les devoirs de protection des États vis-à-vis de leurs citoyens. […]